Laurent de La Hyre, Allégorie de la musique, 1649. Laurent de La Hyre, Allégorie de la musique, 1649.
Laurent de La Hyre (1606-1656)

Allégorie de la musique, 1649

Huile sur toile, H. 1.05 m ; L. 1.42 m

Signée et datée en bas à gauche : L. DE LA HIRE, / in. &. F. 1649.

Provenance : Probablement vente Christie’s Londres, 8 mai 1908, no. 87, huile sur toile, H. 1,03 m ; L. 1,42 m, signée et datée 1640 [erreur ?]
Collection particulière

Bibliographie :

 

ŒUVRES EN RAPPORT :

Laurent de la Hyre, Allégorie de la musique, huile sur toile, H. 1,06 m ; L. 1,44 m, signée et datée 1649 ( ?), New York, Metropolitan Museum of Art, Charles B. Curtis Fund 1950.

Laurent de la Hyre, Putto jouant de la basse de viole et Putto chantant, huiles sur toile, H. 1,03 m ; L. 0,54 m chaque, Dijon, musée Magnin.

 

BIBLIOGRAPHIE :

Corentin Dury (dir.), Musées d’Orléans. Peintures françaises et italiennes. XVe-XVIIe siècles, Gand, 2023, n° 136, p. 266-267.

Faisant partie d’un ensemble décoratif sur le thème des Arts Libéraux, qui existait en au moins deux séries de sept tableaux, notre œuvre est probablement une réplique de l’Allégorie de la Musique conservée au Metropolitan Museum of Art à New York. Le tableau est conçu comme partie centrale d’un triptyque avec des putti de chaque côté (Dijon, Musée Magnin).

Laurent de La Hyre (1606-1656) grandit dans un milieu artistique à Paris, où il apprend dans un premier temps l’écriture et les mathématiques. Par la suite, son père se décide de le faire copier des dessins et à lui apprendre la perspective et l’architecture. La Hyre étudie ensuite à Fontainebleau les œuvres de Primatice (1504-1570), puis fréquente quelque temps l’atelier de Georges Lallemant (vers 1570-vers 1635). Il ne fera jamais le voyage en Italie, mais assimile parfaitement les leçons de l’antique grâce aux estampes. Au sommet de sa carrière artistique dans les années 1640, son style se caractérise par des architectures à l’antique, la science de la perspective et des drapés empruntés à la statuaire. Il est, avec Eustache Le Sueur (1616-1655), Sébastien Bourdon (1616-1671) et Jacques Stella (1596-1657), l’un des représentants d’un nouveau style de peinture qui s’épanouit au temps de Mazarin, définie comme l’« atticisme parisien » par Jacques Thuillier[1], se caractérisant par une quête d’équilibre et de clarté[2].

L’Allégorie de la musique est conçu comme partie d’un ensemble décoratif sur le thème des Arts Libéraux tels que définis depuis la fin de l’Antiquité[3]. Ce décor a été particulièrement étudié par Monsieur Pierre Rosenberg, notamment en 1982 et 1988[4]. Il comprend sept compositions allégoriques, représentant des figures féminines à mi-corps, presque grandeur nature. L’unité de cette série est assurée par les fonds d’architecture antique. Les documents anciens[5] mentionnent deux séries sur ce sujet par Laurent de La Hyre. L’une pour la résidence, dans le quartier du Marais à Paris, d’un certain Tallement[6], maître des requêtes, que l’on identifie avec Gédéon Tallemant (1613-1668), souvent confondu avec son célèbre cousin éponyme qui est l’auteur des Historiettes[7]. La deuxième série serait peinte pour un amateur à Rouen, la ville d’origine de la mère de Gédéon Tallemant, Anne de Rambouillet[8]. Il n’est pas exclu qu’il y ait eu une troisième série ou des répétitions de tableaux individuels.

À ce jour, aucun dessin ou gravure de ce décor de l’hôtel de Gédéon Tallemant n’est connu, mais nous pouvons l’imaginer dans le même esprit que celui du Cabinet de l’Amour à l’hôtel Lambert (1645-1647) : les tableaux allégoriques encastrés dans la boiserie au-dessus d’un lambris d’appui, et placés donc assez haut, au-dessus du niveau des têtes. Le décor est resté en place jusqu’en 1760, date à laquelle cet ensemble est enlevé et dispersé dans une vente à Paris[9].

Par ailleurs, on connait aujourd’hui onze tableaux pouvant se rapporter à ces deux séries de sept allégories des Arts Libéraux, celle de Tallemant à Paris et celle d’un collectionneur à Rouen :

  1. La Musique (New York, Metropolitan Museum of Art)
  2. La Musique (notre tableau)
  3. L’Astronomie (Orléans, musée des Beaux-Arts)
  4. La Géométrie (collection privée, France)
  5. La Géométrie (Toledo Art Museum, Ohio, Etats-Unis)
  6. La Rhétorique (Paris, Galerie Eric Coatalem)
  7. La Dialectique (Paris, Galerie Eric Coatalem)
  8. La Grammaire (Londres, National Gallery)
  9. La Grammaire (Baltimore, The Walters Art Gallery)
  10. L’Arithmétique (Baltimore, The Walters Art Gallery)
  11. L’Arithmétique (Fondation Hannema-De Stuers, Heino, Pays-Bas)

Selon les textes anciens[10], certaines de ces allégories étaient accompagnées de génies ailés portant des attributs. À ce jour, seuls les deux fragments de l’Allégorie de la Musique, conservés au musée Magnin, ont été retrouvés[11]. La continuité du fond architectural et de l’orgue à droite confirme l’unité de ces trois tableaux qui forment un triptyque. La reconstitution photographique proposé par Mirimonde en 1968[12] montre clairement que cette allégorie devrait se présenter originellement comme un triptyque.

Toutes les toiles mentionnées ont une hauteur comprise entre 102 et 106 cm, même l’Allégorie de la Musique conservée au Metropolitan Museum de New York. Il a été publié de manière erronée que cette dernière ne mesurait que 94 cm et qu’elle aurait été ultérieurement coupée en hauteur[13].

Nous n’avons aucune preuve factuelle confirmant l’appartenance de l’un ou l’autre tableau de ce groupe de onze, au décor de l’hôtel de Gédéon Tallemant ou à celui d’un hôtel particulier à Rouen. Selon Monsieur Alastair Laing[14], il est tout à fait possible que notre tableau provienne de ce décor. En effet, sa haute qualité d’exécution et sa proximité stylistique avec les autres toiles allégoriques de cette série semblent étayer cette hypothèse. De plus, les radiographies semblent révéler un changement dans la composition.

La Hyre représente l’allégorie de la musique ici par une jeune femme au profil grec et drapée à l’antique. Elle est en train d’accorder un théorbe, dont il s’agit ici d’une des toutes premières représentations en France[15]. Cet instrument à cordes pincées est inventé à la fin du XVIe siècle en Italie, où il remplace le luth au début du XVIIe siècle. En France, le théorbe apparaît plusieurs dizaines d’années plus tard, marquant une réelle nouveauté au moment de la création de cette composition. Un luth godronné, un violon et son archet, deux flageolets français, une grande chalemie et un orgue complètent le tableau. Grand amateur de musique, La Hyre porte un soin tout particulier à la représentation précise de tous ces instruments.

Le Hyre se différencie des allégories antérieures de la musique[16] car ne représente aucun instrument ancien, aucun motif mythologique, mais des instruments symboliques de la théorie de l’harmonie universelle. Le peintre passe outre les indications de Cesare Ripa[17] dont il adopte uniquement la présence d’un rossignol, perché sur le dossier de la chaise. Cet oiseau signifie l’imitation de la nature ainsi que le triomphe de la nature dans les réalisations des artistes modernes.

En tant que membre fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, Laurent de La Hyre, familier des idées nouvelles sur les rapports entre progrès des modernes et Antiquité, et entre Art et Nature, pouvait répondre à la demande et donner un témoignage visuel des préoccupations académiques de son temps.

Une très grande poésie se dégage de l’art équilibré et architecturé de Laurent de La Hyre, qui nourrit un goût prononcé de l’antique. Par sa rigueur et sa clarté géométrique, ce tableau est tout à fait caractéristique d’une réaction anti-baroque de la peinture française.


[1] Jacques Thuillier, « Au temps de Mazarin. L’‘atticisme’ parisien », La Peinture française. De Le Nain à Fragonard, Genève, 1964, p. 65-69 ; l’expression « atticisme » vient de Bernard Dorival, La Peinture française, Paris, 1942, t. I, p. 6.

[2] Alain Mérot, Éloge de la clarté. Un courant artistique au temps de Mazarin, 1640-1660, cat. exp. Dijon, musée Magnin, Le Mans, musée de Tessé, 1998.

[3] Les Arts Libéraux se divisent en deux groupes dont le premier, le ‘trivium’, comprend la dialectique (ou la logique), la rhétorique et la grammaire tandis que le second, le ‘quadrivium’, regroupe l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. Ainsi, d’après la terminologie actuelle, la musique était considérée comme une science. Ces sept disciplines étaient regardées comme essentielles pour l’éducation d’un individu libre et cultivé dans la tradition de l’Antiquité classique. Elles étaient censées fournir les compétences intellectuelles nécessaires pour la pensée critique, la communication efficace et la compréhension du monde naturel et humain. A. P. de Mirimonde, « Les allégories de la musique », Gazette des Beaux-Arts, décembre 1968, II, p. 295.

[4] Pierre Rosenberg, La peinture française du XVIIe siècle dans les collections américaines, cat. exp. Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 1982, no. 33, p. 250-251 ; Pierre Rosenberg, Jacques Thuillier, Laurent de La Hyre 1606-1656. L’homme et l’œuvre, cat. exp. Grenoble, Rennes, Bordeaux, 1988, p. 292-297.

[5] Pour la première série : Le mémoire par Philippe de La Hire utilisé par P. J. Mariette pour sa notice sur l’artiste dans son « Abécédario (…) », éd. Ph. de Chennevières et A. de Montaiglon,  Archives de l’Art français, t. III, 1854-1856, p. 48-49 ; et par Guillet de Saint-Georges, « Mémoire sur Laurent de La Hyre  (vers 1685) », L. Dussieux et al., Mémoires inédits (…), Paris, 1854, p. 107. Pour la deuxième série : Dezallier d’Argenville, Abrégé de la Vie des plus fameux peintres, Paris, 1745, éd. 1762, t. IV, p. 66.

[6] Érigé en 1623 par Claude Charlot, cet hôtel particulier est devenu la propriété de Tallemant en 1645. Il se trouve au 58 rue Charlot, autrefois connue sous le nom de rue d’Angoumois, dans le quartier du Marais à Paris. Au fil du temps, il a subi des modifications majeures, ce qui rend désormais impossible de localiser la pièce qui abritait le décor des Arts Libéraux.

[7] Les Historiettes de Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692), publiées pour la première fois par Louis Monmerqué en 1834, sont un mélange d’anecdotes et d’observations sans concession sur la société parisienne sous le règne de Louis XIII et le début de celui de Louis XIV.

[8] Humphrey Wine et al., “Laurent de La Hyre’s Allegorical Figure of Grammar », National Gallery Technical Bulletin, 1993, vol. 14 (1993), p. 25 et note 23.

[9] Vente Paris, 22 février 1760 et jours suivants : « (…) Tableaux, entre autres les Arts libéraux, originaux de La Hire de 1649 et 1650 », cité par Pierre Rosenberg, Jacques Thuillier, Laurent de La Hyre 1606-1656. L’homme et l’œuvre, cat. exp. Grenoble, Rennes, Bordeaux, 1988, p. 292.

[10] Voir note 1.

[11] Laurent de la Hyre, Putto jouant de la basse de viole et Putto chantant, huiles sur toile, H. 1,03 m ; L. 0,54 m chaque, Dijon, musée Magnin. Identifiés par Charles Sterling, Chefs-d’œuvre de l’art français, cat. exp. Paris, Palais national des Arts, juin-octobre 1937, no. 80.

[12] A. P. de Mirimonde, « Les allégories de la musique », Gazette des Beaux-Arts, décembre 1968, II, (p. 295-324), particulièrement p. 310-311, notes 39-43, p. 316, p. 323.

[13] Corentin Dury (dir.), Musées d’Orléans. Peintures françaises et italiennes. XVe-XVIIe siècles, Gand, 2023, n° 136, p. 267.

[14] Communication écrite du 21 juillet 2021.

[15] Joël Dugot, « Approche iconographique du théorbe en France, 1650-1700 », Musique Images Instruments. Revue française d’organologie et d’iconographie musicale, Aspects de la vie musicale au XVIIe siècle, vol. 2, 03/1996, p. 178-179 (ill. p. 176).

[16] Gabriele Frings, « Ut Musica Pictura. Laurent de La Hyre’s Allegory of Music (1649) as a mirror of Baroque Art and Music Theory”, Gazette des Beaux-Arts, VIe période, tome CXXIII, 136e année, janvier 1994, p. 13-28.

[17] Cesare Ripa, Iconologie, Venise, 1593, ouvrage qui a eu de très nombreuses rééditions au XVIIe siècle, en France à partir de 1644.

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