François Boucher, Allégorie de l’hiver, 1766-1767. François Boucher, Allégorie de l’hiver, 1766-1767.
François Boucher (1703-1770)

Allégorie de l’hiver, 1766-1767

Huile sur toile, H. 0.56 m ; L. 0.69 m

Provenance : Vente liquidation de la société "Styles", Paris, Galerie Georges Petit, 4 décembre 1922, n°11, reproduit (vendu à 18.000 fr à M. Decour)
Collection M. Decour, Paris
Sa vente, Hôtel Drouot, Paris, 25 novembre 1969, n°32
Collection particulière

Bibliographie :

 

Alexandre Ananoff et Daniel Wildenstein, François Boucher, catalogue des peintures, t. II, Genève, 1976, n°373, reproduit (comme ‘François Boucher’).

Œuvres en rapport :

François Boucher, Dessin au crayon et au lavis, montrant les mêmes deux enfants piégeant des oiseaux, Victoria and Albert Museum, Londres (inv. no. 4908), A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Catalogue des peintures, t. II, Genève, 1976, n°373/1, fig. 1093.

Jean-Baptiste Le Prince (1734-1781), La chasse, eau-forte et pointe sèche d’après le dessin de Boucher (voir plus haut), A. Ananoff et D. Wildenstein, François Boucher, Catalogue des peintures, t. II, Genève, 1976, n°373/2, fig. 1092 ; Pierrette Jean-Richard, L’œuvre gravé de François Boucher dans la collection Edmond de Rothschild, Paris, 1978, n°1384.

Écrans de cheminées Les Enfants se réchauffant tissés par la manufacture des Gobelins (voir note 4).

La représentation d’enfants dans la peinture française prend véritablement son essor au XVIIIe siècle. La parution en 1762 de l’Émile de Rousseau déclenche un vif intérêt pour les questions pédagogiques. Cette scène champêtre, au style éclatant de fraîcheur et de grâce, s’inscrit brillamment dans ce mouvement.

Boucher

Avec sa vision d’un monde heureux, François Boucher est l’un des peintres les plus représentatif du règne de Louis XV. Par sa verve élégante, aimable et facile, son sens de l’ornementation, l’artiste contribue à développer le style rocaille, caractérisé par les arabesques et les courbes ondulantes. Grand décorateur, il est associé aux principales commandes des maisons royales, travaille pour des hôtels particuliers, conçoit des décors pour l’Opéra et dessine des cartons pour les manufactures royales de tapisserie. Grâce aux arts décoratifs et à la gravure, le rayonnement de son art est considérable. Boucher fait une carrière brillante et connaît tous les honneurs. À la mort de Jean-Baptiste Oudry en 1755, il est ainsi nommé surinspecteur de la manufacture des Gobelins avant de succéder à Carle Vanloo en 1765 aux postes de premier peintre du roi et de directeur de l’Académie.

Les enfants dans l’art de Boucher

Devenu le centre de toutes les attentions dans la deuxième du siècle, considéré pour lui-même, non plus comme un petit adulte imparfait, mais comme un être doué de sensations, l’enfant apparaît fréquemment dans l’œuvre de Boucher, selon trois types[1]. L’artiste le représente sous la forme d’amours (ou putti), bébés nus avec ou sans ailes, ou de petits enfants habillés, symbolisant habituellement les arts et les sciences. Les « enfants champêtres » correspondent au troisième type. Âgés de sept à dix ans, ils ne sont ni des petits enfants, ni des adolescents. Ils portent des costumes contemporains, dénués de référence sociale : ils ne sont ni des aristocrates ni des paysans. Toujours représentés à l’extérieur, les garçons et les filles s’adonnent indistinctement à des activités rurales, allant par exemple à la pêche ou tressant des couronnes, jouant de la cornemuse ou nourrissant des poules. Ce type de représentation orne volontiers les chaises, les canapés et les écrans de cheminées fabriqués à la manufacture des Gobelins dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Un tableau source d’inspiration

Notre tableau met en scène ce type d’enfants. Une fille et un garçon, assis devant une haie, se réchauffent à un feu. La fille, en corsage bleu et jupe jaune, semble consoler son petit frère, vêtu d’une culotte bleue et d’une veste rouge, la tête enveloppée dans un mouchoir. Avec ces enfants se réchauffant au feu, Boucher reprend l’une des iconographies habituelles de l’hiver dans les cycles des quatre saisons[2].

On retrouve les enfants de notre tableau sur un dessin de l’artiste conservé au Victoria and Albert Museum de Londres[3] sur lequel ils prennent une pose identique devant une cage à oiseaux. Un certain nombre éléments diffèrent légèrement de notre tableau, à l’exemple des jambes du garçon cachant celles de sa sœur et de la présence d’une hutte à l’arrière-plan. Notons que ce dessin est de format vertical présenté dans un encadrement rocaille fait d’arabesques. On retrouve le même couple d’enfants sur un écran de cheminée ovale de format vertical, tissé par la Manufacture des Gobelins, dont on connaît au moins cinq exemplaires[4].

Expertise

Après un examen de visu, Françoise Joulie[5] confirme la pleine paternité de notre tableau à François Boucher. Alastair Laing[6], qui a reçu des photos du tableau après nettoyage, considère également notre tableau comme une œuvre authentique et autographe de l’artiste. Il a remarqué le repentir sur le front du jeune garçon et a particulièrement apprécié la belle touche spontanée dans le rendu des grains de blé et des branches fleuries. Il relève par ailleurs que notre tableau diffère des écrans de cheminée par son format et sa composition. Une copie en a dû être exécutée pour servir de modèle aux tapisseries. Évoquant l’achat de l’un des écrans de cheminée en 1768[7], il propose par conséquent de dater notre tableau antérieurement à 1766-1767.


[1] Edith A. Standen, « Country Children: Some ‘Enfants de Boucher’ in Gobelins Tapestry », Metropolitan Museum Journal 29, 1994, p. 112.

[2] Dans son cycle des quatre saisons peint en 1744-1745, Boucher représente l’Hiver par des putti qui se chauffent devant un bûcher. A. Ananoff, D. Wildenstein, L’opera completa di Boucher, Milan, 1980, no. 288, L’Hiver, 1745, huile sur toile, H. 0,90 m ; L. 1,16 m, localisation actuelle inconnue.

[3] Dessin au crayon et au lavis, Victoria and Albert Museum, Londres (inv. no. 4908), A. Ananoff et D. Wildenstein, 1976, n°373/1, fig. 1093. Dessin gravé à l’eau-forte par Jean-Baptiste Le Prince sous le titre La chasse, A. Ananoff et D. Wildenstein, 1976, n°373/2, fig. 1092 et Pierrette Jean-Richard, L’œuvre gravé de François Boucher dans la collection Edmond de Rothschild, Paris, 1978, n°1384. Ce dessin est à mettre en lien avec le plateau d’un service en porcelaine fabriqué à Vincennes, conservé au Louvre, Tamara Préaud et Antoine d’Albis, Porcelaine de Vincennes, Paris, 1991, no. 186, voir Edith A. Standen, « Country Children: Some ‘Enfants de Boucher’ in Gobelins Tapestry », Metropolitan Museum Journal 29, 1994, p. 130 note 41.

[4] Écrans de cheminées Les Enfants se réchauffant tissés par la manufacture des Gobelins ; trois sont localisés à Munich (Residenz), à Michelham et à l’abbaye de Welbeck ; un 4e exemple fabriqué pour Madame de Pompadour, passé par la collection de la famille Gregory, acheté par les Duveen Brothers, en 1903 collection de Georges Cooper, localisation actuelle inconnue ; un 5e écran de cheminée a été acheté par le 6e comte de Coventry du fils de Jacques Neilson pour Croome Court en 1768, voir Edith A. Standen, « Country Children: Some ‘Enfants de Boucher’ in Gobelins Tapestry », Metropolitan Museum Journal 29, 1994, p. 130 note 43.

[5] Expertise de Françoise Joulie a eu lieu à Paris, le 26 octobre 2021. Françoise Joulie et Alastair Laing font aujourd’hui autorité pour tout ce qui concerne les tableaux et les dessins de Boucher.

[6] Communication écrite du 2 octobre 2021.

[7] L’un des écrans de cheminée Les Enfants se réchauffant a été acheté en 1768 par le 6e comte de Coventry du fils de Jacques Neilson pour Croome Court. Geoffrey Beard, « Decorators and Furniture Makers at Croome Court », Furniture History, no. 29 (1993), p. 96 ; Edith A. Standen, « Country Children: Some ‘Enfants de Boucher’ in Gobelins Tapestry », Metropolitan Museum Journal 29, 1994, p. 130, note 43.

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