Gérard de Lairesse, Bacchanale d’enfants, 1668. Gérard de Lairesse, Bacchanale d’enfants, 1668.
Gérard de Lairesse (1640-1711)

Bacchanale d’enfants, 1668

Huile sur toile, H. 0.86 m ; L. 1.16 m

Signée et datée en bas à droite : G. Lairesse / Fecit 1668

Numéro d’inventaire en bas à gauche : 61

Provenance : Collection particulière

Bibliographie :

Œuvres en rapport :

Gérard de Lairesse, Enfants dansant au son du triangle, vers 1668, huile sur toile, H. 0,57 m ; L. 0,76 m, signée G. Lairesse in. et f. et monogramme GL sur le vase, Mâcon, musée municipal des Ursulines (inv. 1421), Alain Roy 1992, P. 47.
Germaine Barnaud, « Sur quelques tableaux de Gérard de Lairesse », Revue du Louvre, no. 2, 1965, p. 59-67.

Johannes Glauber (1646/50-1726), eau-forte d’après un dessin de Gérard de Lairesse, Danse d’enfants au son du triangle, eau-forte, H. 170 mm ; L. 140 mm, G. de L. in. / J. G. f., Alain Roy 1992, D. 184a.

Peintre et graveur liégeois actif à Amsterdam, Gérard de Lairesse figure parmi les artistes les plus en vogue durant seconde moitié du XVIIe siècle. Son art, essentiellement destiné à de riches marchands, à des lettrés ou au prince d’Orange-Nassau, futur Guillaume III, est hautement intellectuel, puisant à la culture antique et à l’allégorie.

Formation à Liège

Né à Liège, Gérard de Lairesse (1640-1711) est formé au dessin et à la peinture par son père, Renier de Lairesse, mais également à la poésie et à la musique – il joue excellemment de la flûte et du violon. Avide de textes anciens, des fables d’Ovide en particulier, son frère Ernest lui rapporte de Rome un exemplaire de l’Iconologie de Cesare Ripa qu’il étudie avec passion.
Le peintre liégeois Bertholet Flémal (1614-1675), qui a vécu en Italie et en France, exerce une influence notable sur le jeune Gérard. Il le guide par ses conseils et lui parle avec enthousiasme des Antiquités romaines. Lairesse n’a jamais fait son voyage à Rome, mais il découvre l’art antique à travers les recueils de gravures d’après les maîtres de la Renaissance et des Écoles bolonaise et française contemporaines.

Ses brillants débuts de peintre sont brusquement interrompus par un événement tragi-comique qui contraint l’artiste à quitter précipitamment sa ville natale en avril 1664[1]. Il épouse alors Marie Salme avec laquelle il s’installe d’abord à Utrecht, puis à Amsterdam où il travaille pour le marchand Gerrit Uylenburgh (1626-1679)[2] en 1665[3].

Lairesse graveur

Habile graveur, Lairesse produit un grand nombre d’estampes durant ses premières années à Amsterdam, entre 1665 et 1670. Ses figures témoignent de l’influence de la sculpture antique qu’il a connue par l’intermédiaire d’un recueil de François Perrier[4] dont il utilise fréquemment les planches autour de 1670, notamment dans ses gravures d’inspiration mythologique et dans ses frontispices allégoriques mais aussi comme répertoire de drapés à l’antique[5].

Une passion pour le théâtre

Peu après son accession en 1667 au droit de bourgeoisie à Amsterdam, Lairesse entre en contact avec un groupe d’intellectuels fortunés qui partagent et propagent les idées du classicisme français, et qui fonderont en 1669 l’Académie du « Nil Volentibus Arduum » (Rien n’est difficile pour ceux qui veulent), dédiée au progrès de la littérature contemporaine et au renouveau du théâtre[6]. En 1668, Lairesse réalise les illustrations de deux pièces d’Andries Pels qui s’inspirent du théâtre français : La mort de Didon et la comédie Julfus.

La peinture dhistoire profane et les allégories

Lairesse est un peintre d’histoire, et surtout d’histoire profane, son installation à Amsterdam le privant des commandes de tableaux religieux. Mais il réalise également des tableaux purement allégoriques, à l’exemple de l’Allégorie des cinq sens[7] montrant sa connaissance précoce et profonde de Ripa[8].

Le « Poussin hollandais »

Lairesse est parfois surnommé le « Poussin hollandais ». L’artiste aurait-t-il francisé l’art hollandais ? Imprégné de la culture française et épris de l’Italie classique, c’est un Hollandais d’adoption, formé dans le milieu franco-italien de Bertholet Flémal. S’il exalte l’art classique – en particulier Nicolas Poussin (1594-1665) – dans son traité de 1707[9], les tendances classicistes étaient cependant présentes en Hollande bien avant lui, comme en témoigne l’œuvre de Caesar van Everdingen (1616-1678). Son classicisme et sa critique de Rembrandt ont mis un terme à sa renommée au XIXe siècle quand a été redécouvert l’art hollandais du Siècle d’Or, mais Lairesse a recouvré sa notoriété dès la seconde moitié du XXe siècle, et le peintre est aujourd’hui considéré comme la figure centrale de l’art de la seconde moitié du XVIIe siècle en Hollande[10].

Un peintre aveugle devient théoricien

Lairesse devient brusquement aveugle alors qu’il est au sommet de sa gloire, vers la fin de 1689[11]. Il se tourne alors vers l’enseignement, et la série de conférences qu’il donne pendant de longues années sont recueillies par ses fils et forment la base de ses œuvres théoriques : Principes du Dessin (1701) et le Groot Schilderboek (Grand Livre des Peintres) (1707). Ce dernier traité, conçu comme un guide pratique pour des apprentis en complément de l’enseignement de la peinture, rencontre un tel succès qu’il est traduit en français, en allemand et en anglais.

Une bacchanale denfants

On appelle bacchanale un tableau ou un bas-relief qui représente une fête en l’honneur du dieu romain Bacchus, l’égal de Dionysos dans la mythologie grecque. Dans notre tableau, les deux figures féminines mi-nues à gauche sont des ménades (ou bacchantes), les compagnes de Dionysos. L’une d’elles joue du tambourin – figure habituelle de la volupté – et l’autre du triangle. Certains putti dansent sur leur musique tandis que d’autres s’adonnent à leurs jeux d’enfants.

Sources et modèles des putti

Depuis la Renaissance, le thème des jeux d’enfants ou de petits amours est très courant dans la peinture, surtout dans les sujets allégoriques dont les sources principales d’inspiration sont les bas-reliefs de l’Antiquité. Les « modèles » pour ce type de représentation sont L’Adoration de Vénus du Titien (1518, Madrid, musée du Prado) et la copie qu’en fait Rubens vers 1635-1638 (Stockholm, musée national), ainsi que la Bacchanale d’enfants avec une chèvre, bas-relief du sculpteur flamand François Duquesnoy (1597-1643) (1630, Rome, galerie Spada), qui fait écho aux Bacchanales d’enfants (1626) que Nicolas Poussin peint au même moment à Rome. Lairesse a sans doute connaissance de ces œuvres à travers des estampes. Dans notre tableau, comme chez Poussin et Duquesnoy, ses petits amours n’ont pas d’ailes.

Les putti filles

Lairesse semble s’inspirer en particulier de Rubens qui représentait indistinctement les petits amours en garçon ou en fille[12]. Dans une œuvre en lien direct avec notre tableau, Enfants dansant au son du triangle[13], les six amours qui dansent comprennent une fille qui se distingue notamment par sa coupe de cheveux ainsi que par son collier. Dans ce tableau, une seule ménade est assise à gauche. Il s’agit presque de la même figure que dans notre tableau, dont on aperçoit le dos et la tête en profil classique. Elle y joue du triangle au lieu du tambourin. Elle est également plus clairement caractérisée comme bacchante grâce aux grappes de raisin sur ses genoux et, au premier plan, un vase renversé, symbole dionysiaque.

Les dames de l’école de Bologne

Les élégantes figures féminines de notre tableau, avec leurs gestes étudiés, sont proches de l’école bolonaise, de L’Albane et du Dominiquin. La toilette de Vénus de L’Albane (Rome, Galleria Borghèse)[14] montre par exemple le même type féminin doté des mêmes bras musculeux, certainement dûs à l’emploi de modèles masculins. Comme chez l’Albane, Lairesse organise sa composition en frise, comme un relief, dans une forêt dont les arbres encadrent une belle vue sur l’horizon.

Une œuvre typique des premières années à Amsterdam

Il est possible de retrouver dans notre tableau certaines caractéristiques des œuvres connues de Lairesse de ses premières années à Amsterdam (1665-1670)[15]. On y retrouve la lumière latérale éclairant irrégulièrement la scène et soulignant la narration. Tout en retenue, les attitudes, les gestes et les regards qui expriment les relations entre les personnages, s’accordent subtilement au rendu raffiné des tissus soyeux et du métal ciselé.


[1] Devant le refus de ses parents, Gérard de Lairesse était revenu sur la promesse qu’il avait faite d’épouser l’une des deux sœurs François. Celles-ci, se sentant gravement offensées par la volte-face du peintre, l’attirèrent dans un guet-apens au cours duquel il fut contraint de croiser le fer avec la plus « virile » des deux. Blessé à la partie non moins virile de son anatomie, Lairesse finit malgré tout à faire battre en retraite les deux sœurs éconduites.

[2] Fils du marchand Hendrick Uylenburgh, chez qui Rembrandt a fait ses débuts à Amsterdam une trentaine d’années avant.

[3] Alain Roy, Gérard de Lairesse (1640-1711), Paris, 1992, p. 48.

[4] Icones et segmenta signorum et statuarum, quae temporis dentem invidium evasere, urbis aeternae ruinis erepta, Rome, 1638.

[5] Alain Roy, Gérard de Lairesse (1640-1711), Paris, 1992, p. 65-67.

[6] Alain Roy, Gérard de Lairesse (1640-1711), Paris, 1992, p. 67.

[7] Allégorie des cinq sens, 1668, huile sur toile, H. 1,40 m ; L. 1,83 m, Kelvingrove Art Gallery and Museum (Glasgow Museums), inv. no. 3635.

[8] Alain Roy, Gérard de Lairesse (1640-1711), Paris, 1992, p. 69.

[9] Gérard de Lairesse, Groot Schilderboek [Le Grand Livre des Peintres], Amsterdam, 1707 (nombreuses rééditions et traductions au XVIIIe siècle).

[10] Lyckle de Vries, How to create beauty. De Lairesse on the theory and practice of making art, Leyde, 2011, p. 16 ; Josien Beltman et al. (éd.), Eindelijk! De Lairesse: Klassieke schoonheid in de Gouden Eeuw, cat. exp., Enschede, Rijksmuseum Twenthe, 2016-2017, Waanders & De Kunst, 2016.

[11] Alain Roy, Gérard de Lairesse (1640-1711), Paris, 1992, p. 51-52.

[12] Les petits amours fille apparaissent chez Rubens dans son Adoration de Vénus (d’après Titien), vers 1635-1638, Stockholm, musée national ; également dans sa Fête de Vénus, 1636-1637, huile sur toile, H. 2,17 m ; L. 3,50 m, Vienne, Kunsthistorisches Museum (inv. 684).

[13] Gérard de Lairesse, Enfants dansant au son du triangle, vers 1668, huile sur toile, H. 0,57 m ; L. 0,76 m, signée G. Lairesse in. et f. et monogramme GL sur le vase, Mâcon, musée municipal des Ursulines (inv. 1421).

[14] Francesco Albani, dit L’Albane, La toilette de Vénus, vers 1617, huile sur toile, diamètre 154 cm, Rome, Galleria Borghèse.

[15] Allégorie du Printemps, 1668, huile sur toile, H. 1,37 m ; L. 1,83 m, La Havane, Museo Nacional de Bellas Artes (inv. no. 90-3383) ; Allégorie des cinq sens, 1668, huile sur toile, H. 1,40 m ; L. 1,83 m, Kelvingrove Art Gallery and Museum, Glasgow Museums (inv. no. 3635).

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