Femme nue assise, vers 1840
Graphite sur papier, H. 212 mm ; L. 163 mm
Signé en haut à droite : E
verso : esquisse (coupée) de jambes et d’un bras de femme assise sur un canapé ; chiffre 369 écrit sur la marge.
Provenance : Collection privée
Contemporain de l’écrivain Hans Christian Andersen et du philosophe Søren Kierkegaard, le peintre Christoffer Wilhelm Eckersberg est à l’origine de l’Âge d’or de la peinture danoise, tant par son œuvre que par son enseignement à l’Académie de Copenhague. La réforme qu’il y mène s’inspire de l’enseignement de Jacques-Louis David à Paris et préconise notamment l’étude peinte d’après le modèle vivant.
Formation à Copenhague
Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853) naît dans le Schleswig et grandit à Blans, où des maîtres régionaux assurent sa première formation. À partir de 1803, il se forme à l’Académie royale de Copenhague, où il pratique le dessin d’après modèle vivant à la lumière artificielle. D’origine modeste, il parvient à gagner sa vie en réalisant des dessins de motifs populaires pour la gravure, ainsi que des tableaux de paysage. Ambitieux, il vise cependant une carrière de peintre d’histoire. Il est influencé par Nicolai Abraham Abildgaard (1743-1809), alors directeur de l’Académie, mais également par l’œuvre du portraitiste et paysagiste Jens Juel (1745-1802) qui vient de mourir. Eckersberg remporte en 1809 la médaille d’or de l’Académie, qui lui permet de partir étudier à Paris puis à Rome.
Travail d’après le nu à Paris
Eckersberg arrive à Paris en octobre 1810 en compagnie de son mécène, le collectionneur Tønnes Christian Bruun Neergaard (1776-1824)[1]. Il y découvre le travail d’après le nu féminin, comme cela était courant, dans un cadre privé où, avec des peintres allemands, il fait poser alternativement des modèles des deux sexes[2].
Il entre dans l’atelier de David en septembre 1811 et profite de l’enseignement exigeant de ce chef de fil de la peinture française pendant un an. Dans ce fameux atelier se pratiquent le dessin, mais également la peinture, d’après le nu masculin, à lumière naturelle, pendant la journée, et non pas à la lumière artificielle, le soir, comme à l’Académie. Cette différence favorise une observation plus précise et un traitement plus nuancé des dégradés. Eckersberg, doué d’une grande acuité dans l’étude de la forme et de la couleur du corps humain, reçoit des éloges de David[3].
Plein air à Rome
Le séjour d’Eckersberg à Rome de 1813 à 1816 se révèle décisif pour sa maturation artistique. Le peintre y bénéficie de l’aide et des conseils du sculpteur Bertel Thorvaldsen (1770-1844). Ses vues de la ville, peintes à l’huile entièrement en plein air, n’ont pas de caractère spontané, mais frappent par leurs compositions construites et leurs points de vue inhabituels. Ces tableaux, qui ne sont pas destinés à être vendus, sont accrochés plus tard dans son appartement de Charlottenborg où ses étudiants peuvent les voir.
Carrière de peintre polyvalent à Copenhague
De retour à Copenhague en 1816, Eckersberg devient, jusqu’au milieu des années 1820, le portraitiste le plus recherché du Danemark. Il est élu membre de l’Académie royale des Beaux-Arts du Danemark en 1817. Il reçoit huit commandes de tableaux d’histoire pour le palais de Christiansborg, en majorité dans les années 1820 et 1830. Les marines sont son sujet de prédilection dans les dernières décennies de sa carrière, et les scènes de la vie quotidienne prennent de nouveau une part importante de son art.
Eckersberg pratique ainsi tous les genres picturaux. Ses œuvres sont marquées par son goût pour une narration claire et dénuée d’effet dramatique, servies par la représentation d’une réalité finement observée, avec une attention particulière portée à la géométrie des effets de lumière. La perspective linéaire devient l’une des composantes essentielles de son enseignement à l’Académie. Dans ses deux traités sur le sujet, publiés en 1833 et 1841, il définit les règles de la construction de l’espace ainsi que du traitement des ombres.
L’Âge d’or danois
Par son œuvre pictural et son enseignement à l’Académie de Copenhague, Eckersberg est à l’origine de ce qu’on appelle « l’Âge d’or de la peinture danoise ». Ce renouveau dans la première moitié du XIXe siècle est caractérisé par un grand raffinement dans le traitement des lumières et des couleurs, allié à une réflexion approfondie de la composition. Les peintres comme Købke, Lundbye, Rørbye et Hansen combinent une haute précision du dessin et une technique parfaitement maîtrisée à une poésie des éléments perçus dans leur fugacité, leur fragilité et leur pureté.
Réforme d’enseignement à Copenhague
Nommé professeur à l’Académie de Copenhague en 1818, Eckersberg entreprend avec son collègue Johan Ludvig Lund (1777-1867), qui a également étudié chez David, des réformes de l’enseignement artistique au Danemark. Novateurs, ils proposent en 1822 d’introduire des cours de peinture à l’Académie, quand cette formation n’avait lieu qu’au sein d’ateliers privés. Tandis que le système maître-élève se maintient encore longtemps, des premiers cours de peinture ont lieu en journée, notamment d’après des modèles vivants, uniquement masculins. L’autre grande nouveauté, mise en place par l’Académie à partir de 1833[4], réside dans le travail d’après des modèles féminins, encore interdit, pour des questions de décence, dans la plupart des académies européennes. Il ne sera autorisé à l’École des Beaux-Arts de Paris qu’en 1863[5]. L’Académie de Copenhague se distingue ainsi comme précurseur de l’enseignement artistique en Europe. À partir de 1839, Eckersberg organise également des cours d’été dédiés à l’étude du modèle à la lumière naturelle. Ces cours, durant la plupart desquels posent des modèles féminins, ont lieu de 1839 à 1841, en 1843 et 1844, puis entre 1847 et 1850. Eckersberg y participe activement, dessinant et peignant sur de petits formats, comme notre dessin, même s’il conseille à ses élèves de travailler sur des formats plus grands.
Dans ses études de nus féminins créées entre 1833 et 1844, il représente toujours le modèle dans un espace défini, cherchant un équilibre entre les formes du corps et celle de son œuvre. Tandis qu’il travaille d’après nature, il compose activement et transforme souvent la réalité en une scène de genre, en ajoutant des accessoires. Il obtient alors une image d’un réalisme quasiment photographique par le cadrage serré de la composition et le traitement de la lumière claire et naturelle. Les nus ultérieurs d’Eckersberg seront davantage des portraits d’individus nus que des études de modèles.
Nu bien coiffé
Une série de dessins de nus féminins d’Eckersberg datés aux environs de 1833 représentent des femmes portant un drapé sur les hanches[6]. Sur notre dessin, les bras du modèle, délicatement posés sur ses cuisses, semblent jouer le rôle de ce drapé. La superposition des mains est si soigneusement calculée qu’une petite ouverture se forme entre les deux. La femme, assise de profil, semble vouloir protéger sa nudité des regards, qui s’arrêtent finalement sur sa chevelure, détaillée avec autant de soin que le reste de la composition.
[1] Son ouvrage publié à Paris en 1801, Sur la situation des beaux-arts en France, montre l’étendue des connaissances de Neergaard sur l’art et les artistes de son temps.
[2] Deux lettres de Eckersberg datées de juin et juillet 1811 témoignent de cette académie privée. De même, son journal documente le fait qu’il employait à ses frais des modèles féminins nus. Voir Neela Struck, Le corps humain. Entre le nu et le dévêtu, cat. exp. C.W. Eckersberg 1783-1853, Artiste Danois à Paris, Rome & Copenhague, Paris, Fondation Custodia, 2016, p. 92.
[3] David Jackson, Danish Golden Age Painting, New Haven et Londres, 2021, p. 31, note 13.
[4] cat. exp. L’Âge d’or de la peinture danoise 1800-1850, Galeries Nationales du Grand Palais, Paris, 5 décembre 1984 – 25 février 1985, p. 164.
[5] On travaille d’après des modèles féminins à l’Accademia degli Incamminati à Bologne vers 1600 et à la Royal Academy de Londres à la fin du XVIIIe siècle. Voir Barbara Eschenburg, Pygmalions Werkstatt. Die Erschaffung des Menschen im Atelier von der Renaissance bis zum Surrealismus, Munich, 2001, p. 30.
[6] Erik Fischer, Tegninger af C.W. Eckersberg, Statens museum for kunst, Kobberstiksamling, Copenhague, 1983, p. 179, no. 15.