La Bal de l’Opéra, Paris, 1886
Huile sur toile, H. 0.85 m ; L. 0.63 m
Signée en bas à gauche : H. Gervex – 86.
Provenance : Henri Menier, Paris - acquis avant 1904, probablement directement de l’artiste.
Puis par descendance.
- Paul Gilbert, « Les Petits Salons, place Vendôme, » Gazette des Beaux-Arts, 1886, p. 248.
- Jean-Christophe Gourvennec, « Réalisme social, réalisme mondain: les années 80, » Henri Gervex, 1853-1929, 1992, cat. exp. , p. 145, illustré en couleur, p. 43.
Henri Gervex est connu, dans les années 1880, pour être parmi les jeunes artistes, l’un des plus attiré par la société parisienne et les usages de fin de siècle. Dans Le Bal de l’Opéra, peint en 1886, Gervex associe un lieu très reconnaissable, le luxueux Grand Foyer du nouvel opéra Garnier à Paris, avec un événement encore plus français : le bal masqué. Les bals masqués animaient toute la saison d’hiver, la société française et étrangère. Avec ses cadrages au premier plan sur des visages tronqués (ce qui porte le regard du spectateur directement sur le célèbre escalier de l’Opéra parmi les convives) et le grand nombre de costumes noirs, chapeaux et de cannes de la gent masculine, Gervex suit avec talent l’exemple de ses proches amis Manet et Degas.
Les bals costumés avaient lieu à travers tout Paris pendant les six semaines précédant le Mercredi des Cendres et le Carême, c’était des spectacles dont on parlait beaucoup. De minuit à 5h du matin, pour le prix d’un ticket (les bals à l’Opéra étaient les plus chers à 10 F. chacun) de provocantes jeunes femmes du « demi-monde » (jeunes femmes mises à l’écart de la « bonne société » de par leur conduite ou leur naissance) pouvaient rencontrer des hommes de l’aristocratie, de la finance ou de la politique qui s’y rassemblaient. A l’Opéra, le parterre était consacré à la danse et l’orchestre de l’Opéra jouait des valses, des mazurkas et même du french cancan. Les femmes habillées dans des tenues révélant leurs formes plus que permis d’habitude, pouvaient danser avec abandon, leur réputation protégée par le petit masque noir donnant l’illusion de l’anonymat. Les hommes pouvaient danser mais le plus souvent observaient en espérant un rendez-vous après le bal. Au cours du siècle, ce qui était une simple distraction pour les étudiants et la classe ouvrière est devenu un phénomène très chic et typiquement parisien. Dans les années 1850, Gavarni a dessiné de jeunes couturières et des étudiants éméchés après un bal dans une mansarde sordide ; lorsque Manet a peint les galeries de l’ancien opéra en 1873, le nombre de gentleman en chapeau haut surpassait celui des jeunes femmes à quatre pour un, parmi eux des journalistes et des amis de l’artiste, Manet lui-même parfois. Avec Le Bal de l’Opéra la principale attraction était de deviner quelle actrice ou quelle femme de la société flirtait avec quel banquier ou quel politicien sur le balcon central.
En 1878, Gervex avait attiré l’attention avec la peinture détaillée d’un jeune homme dissolus envisageant le suicide après une dernière nuit avec une magnifique prostituée toujours endormie, sa robe abandonnée, son jupon et son corset provoquant gisant dans le coin bas du tableau. Evincé du Salon comme contraire à la morale publique – malgré l’inspiration reconnue d’un poème très admiré d’Alfred de Musset – le tableau de Rolla fut exposé dans la vitrine d’un marchand du voisinage et acclamé (Bordeaux, Musée des Beaux-Arts). Pendant les années 80, Gervex continue à défier le Salon avec des portraits de courtisanes connues, une autopsie, un étal de boucher. Bien que formé pendant cinq ans dans l’atelier de Cabanel, Gervex reste malgré tout profondément influencé par Degas et Manet, et prudemment se fait sa voie entre la révolution impressionniste et la complaisance académiste.
Pendant plus d’un siècle, Le Bal de l’Opéra de Gervex est resté dans la famille de l’acheteur original. En 1900 le tableau est acheté par Henri Menier, descendant de la famille du chocolatier internationalement renommé, les Chocolat Menier, fabriquant de chocolat en France, en Angleterre et aux USA jusqu’à ce que la firme soit achetée par Nestlé. Pendant le 20ème siècle, la famille fut particulièrement célèbre pour son achat et la restauration du château de Chenonceaux et sa superbe collection de peinture ancienne.
Alexandra Murphy