La rencontre de Huon de Bordeaux et de Scherasmin dans les grottes du Liban, 1804-1805
Huile sur toile, H. 0.61 m ; L. 0.45 m
Provenance : Benjamin Sharpe, Hanwell Park, Middlesex Peter Reinhart, Winterthur
- A. Federmann, Johann Heinrich Füssli: Dichter und Maler 1741 – 1825, Zürich et Leipzig, 1927, pl. 15.
- E. R. Beutler, Johann Heinrich Füssli: Ansprache bei Eröffnung der Füßli-Ausstellung des Frankfurter Goethemuseums am 27. August 1938, Halle an der Saale, 1939, p. 20.
- E. Jaloux, Johann-Heinrich Füssli, Montreux, 1942, illus. p. 148.
- G. Schiff, Johann Heinrich Füssli, Zurich, 1973, vol. 1, p. 325 et p. 565, n° 1219 ; vol. 2, p. 378 (illus.).
- G. Schiff and P. Viotto, Tout l’oeuvre peint de Füssli, Milan, 1977, p. 105, n° 249.
- D.H. Weinglas, Prints and Engraved Illustrations by and after Henry Fuseli, Cambridge, 1994, p. 291.
Le 1er janvier 1805, Füssli écrit à William Roscoe pour lui dire qu’à l’exception de quelques touches finales minimes, il avait achevé les dessins préparatoires aux illustrations de l’Oberon de Wieland, qui allaient illustrer l’ouvrage de William Sotheby, Oberon, a Poem from the German of Wieland, publié à Londres en 1805. Cette épopée poétique fantaisiste s’inspire de sources diverses telles que le roman courtisan Histoire de Huon de Bordeaux, The Merchant’s Tale de Chaucer, A Midsummer Night’s Dream et A Thousand-and-One Nights de Shakespeare. Il vaudra à Wieland (1733-1813) le titre de « L’Arioste allemand ». La traduction de Sotheby sort dès 1798 mais n’est illustrée qu’à l’occasion de la deuxième édition de 1805. Ce poème raconte les aventures de Huon de Bordeaux qui, afin d’expier le meurtre d’un des fils de Charlemagne, doit aller à Bagdad, tuer le chevalier assis sur la gauche du Calife, voler au Calife quatre de ses dents molaires et une poignée de ses moustaches, et emporter une de ses filles, Rezia comme sa fiancée. Grâce à l’aide d’Oberon, roi des elfes, Huon réussit tous les défis, mais il attire le malheur sur lui-même et Rezia lorsqu’il rompt son vœu de chasteté.
Füssli reçoit 120 guinées des éditeurs Cadell and Davis et estime qu’il avait « fait une affaire peu avantageuse pour moi-même », par rapport 18 guinées payées aux graveurs pour chaque cuivre.
L’épisode que représente notre tableau est tiré de la partie 1, versets 18-19 dans lesquelles Huon, cherchant à s’abriter d’une tempête, rencontre un homme sauvage habillé de guenilles et peaux de chat dans une grotte. Il s’avère être Scherasmin, serviteur du père de Huon qui était mort en Terre Sainte. Fortement touché par la possibilité d’être au service au fils de son ancien maître, Scherasmin promet à Huon sa fidélité indéfectible sur son voyage.
Roscoe, à qui l’artiste écrit en 1805, est un grand collectionneur de Liverpool, poète et historien qui, en 1792, achète son premier tableau de Füssli, La mort d’Œdipe (conservé actuellement à la Walker Gallery à Liverpool). Roscoe est devenu un ami proche de l’artiste ainsi que l’un de ses meilleurs clients, possédant, parait-il, une quinzaine de ses tableaux. Il se charge également de vendre les œuvres de Füssli à Liverpool, et persuade ses amis, en particulier les collectionneurs Daniel et Matthew Daulby Gregson, d’acheter des tableaux de l’artiste. Aussi, Liverpool, dans les premières années du XIXe siècle, est un foyer important d’amateurs de Füssli.
Pendant sa jeunesse, Füssli s’était consacré aux études théologiques et classiques et avait commencé une carrière d’écrivain, mais peu après son arrivée en Angleterre au milieu de la vingtaine, Joshua Reynolds l’avait convaincu de devenir peintre. La personnalité artistique de Füssli était fortement influencée par son éducation de bon niveau et littéraire. Il est particulièrement sensible aux dernières courants et théories culturels et appréciait notamment l’originalité et le génie individuel par rapport aux orthodoxies et règles convenues de la peinture. Les deux forces les plus puissantes sur l’évolution artistique de Füssli étaient l’ouvrage Reflections on the Painting and the Sculpture of the Greeks, de l’historien de l’art allemand Johann Joachim Winckelmann, qu’il avait traduit en anglais pendant sa jeunesse et les huit années qu’il avait passées à Rome entre 1770 et 1778 où il avait étudié, à l’instar de nombreux peintres britanniques d’après les sources antiques et de la Renaissance. Cette expérience pourrait expliquer les allusions faites à travers le cheval de notre tableau aux fresques de Salviati sur le thème de furio camillo, noté par Antal (L. Antal, Fuseli Studies, London, 1956).
A Rome, Füssli est au centre d’un milieu de jeunes artistes progressifs qui essayaient de trouver de nouveaux moyens de s’engager avec l’Antiquité. Il développe un style très personnel, sur la base de dessins au trait ou au trait avec du lavis, et avec une approche exagérée, même maniériste concernant la représentation de la figure humaine et des émotions humains. Cette manière se combine avec sa recherche de thèmes dramatiques à représenter en dessin ou en peinture, qu’il aime à trouver dans la grande littérature du passé, parfois peu connue, comme la source de notre peinture.
En 1780, Füssli rentre à Londres après deux années passées en Suisse. Il avait renvoyé de temps en temps des œuvres depuis Rome aux expositions de la Royal Academy de Londres, mais à partir de cette période, il participe régulièrement et devient membre de l’Académie avant la fin de la décennie. En 1782, son tableau Le Cauchemar fait beaucoup de bruit. Avec sa mise en scène sombre et son ambiance macabre et surnaturelle, ce tableau explore des zones inconnues de l’âme humaine, annonçant la direction que l’art prendra à l’époque romantique.