La Tarentelle. Bord de mer au crépuscule avec paysans napolitains dansant la Tarantella Lausanne, musée cantonal des Beaux-Arts
Jacques Sablet (1749-1803)

La Tarentelle. Bord de mer au crépuscule avec paysans napolitains dansant la Tarantella, 1799

Huile sur toile, H. 1.55 m ; L. 2.12 m

Traces de signature au centre à gauche : SABL.
Numéro d’inventaire peint sur le verso : No 665.d.C.

Provenance : Cardinal Joseph Fesch, qui achète la toile de l’artiste en 1802, pour la somme de 6000 francs
Collection privée, Portugal
Collection privée.

Bibliographie :
  • Salon, « Arlequin au Muséum ou les Tableaux en Vaudeville », Coll. Deloynes, 1799, XXI, p. 109-110, no. 561.
  • « La Revue du Muséum », Coll. Deloynes, 1799, XXI, p. 159, no. 562.
  • « Exposition de tableaux au Salon du Louvre. Journal d’indications », Coll. Deloynes, 1799, XXI, p. 361-362, no. 579.
  • « Exposition des ouvrages de peinture…insérée dans le ‘Journal de la Décade’ par le C. Chaussard », Coll. Deloynes, 1799, XXI, p. 455-456, no. 580.
  • 25 fructidor/11 septembre, 1799, Journal des Arts, de littérature et de commerce, p. 2, no. 11.
  • J.B. Vanel, « Deux livres de comptes du cardinal Fesch, archevêque de Lyon », Bulletin historique du diocèse de Lyon, 1802, janvier 1923, p. 76, no. 1 (‘la Tarentelle de Sablet 6.000 fr.’).
  • 7 vendémiaire/30 septembre, 1803, Arch. nat., Minutier central, Etude LXIX, 870, Inventaire J. Sablet, 23 fructidor an XI/10 September, folio 19 (tableau appartenant à Lucien Bonaparte, ‘La Tarentaine’).
  • Johann Dominicus Fiorillo, Geschichte der zeichnenden Künste in Deutschland und den vereinigten Niederlanden, 1815, II, p. 520.
  • [George], Catalogue des tableaux composant la Galerie de feu son éminence le cardinal Fesch, 1841, Rome, no. 1751 (‘Une fête de matelots’). 26 mars ff, Rome, vente du cardinal Fesch, 1844, no. 820 (‘Une fête napolitaine’).
  • Anne van de Sandt, Jacques Sablet (1749-1803). Biographie et catalogue raisonné, Université de Paris IV – Sorbonne, 1983, no. X. 29, comme localisation inconnue.
  • Philippe Costamagna (et autres), Le goût pour la peinture italienne autour de 1800. Prédécesseurs, modèles et concurrents du Cardinal Fesch, Actes Du Colloque, Ajaccio, 1er-4 mars 2005, p. 14.

Suite à son exposition au Salon de Paris 1799, notre tableau est acheté par Lucien Bonaparte, sans doute pour le compte de son oncle, le Cardinal Fesch, l’un des collectionneurs d’art les plus grands de tous les temps. L’œuvre reste dans la collection du cardinal jusqu’à la mort de ce dernier en 1844, et figure dans sa vente d’après décès. Ensuite la localisation de ce tableau monumental reste inconnu jusqu’à sa redécouverte récente dans une collection privée au Portugal. En 2007, notre tableau figure dans une importante exposition sur Le cardinal Fesch et l’art de son temps au musée Fesch à Ajaccio. Lors d’un nettoyage récent les traces d’une signature SABL ont apparu sur le mur au-dessous de la forteresse sur le centre-gauche de la composition.

Décrit par Anne de Sandt comme « certainement l’un des chefs-d’œuvre de Jacques Sablet » (cat. exp. Ajaccio, musée Fesch, Le cardinal Fesch et l’art de son temps. (…), 2007, no. 8, p. 49.) , le tableau décrit une scène idyllique de paysans Napolitains dansant la Tarentelle devant un port avec un château qui évoque le Castel Nuovo, Naples, en dessus de la forteresse de Gaeta.
La tarentelle était une danse animée, accompagnée aux tambourins, à la guitare, ou parfois comme ici au luth. Cette danse tire son nom d’une espèce d’araignée nommée tarantula, sévissant dans la région de Taranto et dont la piqûre toxique pouvait, disait-on, provoquer une forme d’hystérie. Cette chorégraphie endiablée aurait été capable d’exorciser le mal.

Sablet a traité le même thème dans Danse à Naples, une commande de Gustav III de Suède en 1784 (conservée au Château Drottningholm, Suède). La composition de La Tarentelle a été certainement tirée de ce dernier tableau, s’organisant en trois groupes principaux : les musiciens à droite, le couple dansant au centre et le couple buvant sur le côté gauche.

Né dans une famille française d’origine suisse, Jacques-Henri Sablet et son frère aîné Jean-François (1745-1819) étudient à Paris chez Joseph-Marie Vien. Grâce à une bourse de l’État de Berne, il part en Italie. En 1778 il reçoit un premier prix pour une Mort de Pallas au concours de l’Académie de Parme. Il devait cependant bientôt abandonner la peinture d’histoire au profit de portraits informels et de scènes de genre, pour lesquelles il montre sensibilité forte, sans doute inspiré par les écrits de Jean-Jacques Rousseau et Salomon Gessner. Sablet travaille avec Abraham-Louis-Rodolphe Ducros sur la publication d’une série de costumes italiens dans l’aquatinte, fournissant les dessins dont Ducros fait les gravures. En 1786, Sablet exécute lui-même une série des gravures de figures populaires (voir Anne van de Sandt, 1983, p. 100-113). Des œuvres comme la Danse à Naples du Château de Drottningholm et, dans une plus large mesure, le magistral Colin-maillard (exposé au Salon de 1796 et aujourd’hui au musée de Lausanne), aussi bien que notre tableau, avec leur expression vivante, leur luminosité et leur coloration vive, montrent le goût de Sablet pour de tels sujets très en vogue à l’époque.

De telles œuvres et sa capacité de peindre des portraits ont retenu l’attention de certains des plus importants collectionneurs de l’époque, comprenant François Cacault, Lucien Bonaparte, le Prince de Canino et l’oncle de ce dernier, le Cardinal Joseph Fesch. Van de Sandt note que notre tableau était vraisemblablement listé comme La Tarentaine dans l’inventaire posthume de l’atelier de Sablet de 1803, alors décrit comme appartenant à Lucien Bonaparte. Fort probablement ce dernier a agi pour le compte de son oncle, puisqu’il est certain que l’œuvre a été acquise par Fesch en 1802 pour l’énorme somme de 6000 francs et que notre tableau a aussi figuré dans la vente d’après-décès de sa collection, qui a eu lieu à Rome en 1844.

Le Cardinal Joseph Fesch (Ajaccio 1763 – Rome 1839) était d’origine suisse-corse. Il était le demi-frère de Letizia Ramolino Bonaparte (1750-1836), mère du futur Empereur Napoléon Ier. Entre 1796 et sa mort en 1839, il a constitué l’une des plus grandes collections privées des tableaux de tous les temps. Sa résidence romaine était le Palazzo Falconieri dans la Via Giulia, où il exposait beaucoup de ses meilleures pièces, mais il louait aussi d’autres demeures pour abriter le reste de son énorme collection.

Parmi les presque 16000 œuvres qui ont été enregistrées dans son inventaire d’après-décès, se trouvaient beaucoup de chefs-d’œuvre, y compris La Dormition de la Vierge de Giotto, le Jugement dernier de Fra Angelico et le Saint Jean-Baptiste prêchant de Rembrandt (tous les trois à Berlin, Gemäldegalerie) ; la Danse de la musique et du temps de Poussin (Londres, Wallace Collection), L’Agonie dans le Jardin des oliviers de Mantegna et une Crucifixion de Raphaël (Londres, National Gallery). Fesch avait un engouement pour les natures mortes napolitaines, et collectionnait des tableaux de l’Ecole italienne surtout du XVIIe et XVIIIe siècles, aussi bien que les maîtres hollandais du siècle d’or et les peintres classiques français. Il manifestait également de l’intérêt pour l’art de ses contemporains et possédait de Jacques Sablet, à part de notre tableau, également le Colin-maillard. A sa mort, sa collection a été donnée en partie à l’Institut des Études à Ajaccio qu’il avait fondé (maintenant surtout musée Fesch, Ajaccio) ; le reste de la collection y compris notre tableau a été dispersé pour l’essentiel à sa vente d’après-décès à Rome entre 1843 et 1845.

Exposée au Salon 1799, notre tableau reçoit beaucoup d’acclamations. Chaussard note : « Toujours grand peintre dans la scène familière et animée. Au fond du tableau la mer. Sur le devant des groupes, qui vont, qui viennent, se croisent, se quittent, se reprennent. Ils dansent véritablement et leur joie est bruyante… Les peintres n’obtiennent cet effet qu’en forçant en gris les derniers plans. Ici tout est argentin et clair ; la lumière est répandue avec profusion. Qu’elle est donc cette magie et par quel secret de l’art…? C’est celui de Sablet, il l’a gardé pour lui seul. Comme il est supérieur à Vateau [sic]. La manière de Vateau était monotone et de convention; celle de Sablet est toujours brillante et vraie.» (« Exposition des ouvrages de peinture…insérée dans le Journal de la Décade par le C. Chaussard », Coll. Deloynes, 1799, XXI, p. 455-456, no. 580.)

Le catalogue de la vente de 1844 en apprécie surtout la variété des personnages représentés et la majesté de leur mise en scène : « La diversité d’action entre les différents groupes donne à cette composition un charme et un agrément que la variété des costumes et l’aspect grandiose du site ne fait qu’accroître encore. » (Vente Fesch, Rome, 26 mars 1844, no. 820.)

Notre tableau a été classé œuvre d’intérêt patrimonial majeur par la Commission des trésors nationaux en France, ce qui peut permettre aux entreprises intéressées par son achat de bénéficier des mêmes déductions fiscales que celles réservées aux trésors nationaux.