Hubert Robert, Les lavandières au lavoir, vers 1770-1775. Hubert Robert, Les lavandières au lavoir, vers 1770-1775.
Hubert Robert (1733-1808)

Les lavandières au lavoir, vers 1770-1775

Huile sur toile, H. 0.51 m ; L. 1.16 m

Provenance : Provient d’un ensemble de quatre dessus-de-portes
Vente anonyme, Paris, galerie Georges Petit, 4 mai 1921, lot 24, repr. (avec l’ensemble aux lots 23,25 et 26)
Vente de la collection T. P. Thorne, Paris, galerie Georges Petit, 22-23 mai 1922, lot 23, repr. (avec l’ensemble aux lots 22, 24 et 25), acquis par M. Kremer.
Vente du “docteur X”, Paris, galerie Charpentier, 28 mars 1955, lot 78, repr. planche XVI (avec son pendant au lot 79).
Collection particulière

Peintre de paysage, spécialisé dans l’architecture et les ruines, également grand dessinateur et concepteur de jardins, Hubert Robert est l’un des artistes les plus prolifiques de son temps. Son goût prononcé pour la théâtralité et la décoration marque la peinture de son époque, dont la sensibilité s’exprime parfaitement dans ce que Diderot définit comme la « poétique des ruines », non dépourvue d’une légère mélancolie. Par sa pratique continuelle du plein air, il ouvre le chemin à Pierre Henri de Valenciennes et le paysage moderne.

Réputé pour son œuvre abondant, Hubert Robert dessine et peint tout au long de sa carrière. En Italie où il séjourne de 1754 à 1765, l’artiste produit surtout des sanguines sous la forme de caprices architecturaux inspirés par les gravures de Piranèse ou les caprices de Panini, ainsi que des vues des sites de Rome, du Latium et de la Campanie. Robert transpose certaines de ces compositions à l’aquarelle et plus rarement à l’huile. Ce recours à la variation permet à l’artiste d’être prolifique et de proposer à ses clients une œuvre unique qui en rappelle d’autres. À son retour en France, après avoir été agréé et reçu en 1766 à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Robert développe une importante production de peintures, essentiellement des vues de ruines, de jardins ou de paysages qui portent souvent le souvenir de ses voyages. Membre de l’Académie royale, dessinateur des jardins du roi en 1779, puis garde des tableaux du Muséum royal dès 1784, Robert a bénéficié tout au long de sa carrière du soutien de membres éminents comme le duc de Choiseul, le comte d’Angiviller et le marquis de Laborde. Avec la chute de l’Ancien régime, Robert perd la majorité de sa clientèle française mais continue de répondre aux nombreuses commandes émanant des princes impériaux de Russie.

Quatre dessus-de-portes

Tableau méconnu des spécialistes, Les Lavandières au lavoir, incarne parfaitement un aspect majeur de l’art de Robert : le principe de variation pour répondre aux nombreuses commandes de décoration intérieure. Lors de son premier passage connu sur le marché de l’art en 1921, le tableau comptait encore parmi l’ensemble original de quatre dessus-de-portes sur le thème des lavandières et des porteuses d’eau (Fig. 1 à 3). Ces femmes sont présentées s’affairant dans un lavoir, autour d’une fontaine, sous un pont et une passerelle de bois enjambant le bras d’une rivière. Toutes occupent le premier plan, à l’exception du tableau étudié ici qui montre un homme enveloppé dans une cape rouge, la tête couverte d’un large chapeau et la main tenant un bâton. C’est un personnage récurrent de l’œuvre de Robert, inspiré par les études croquées dans les carnets que l’artiste a gardés toute sa vie[1].

Les quatre tableaux sont pensés comme deux paires s’opposant avec harmonie. Ainsi, la fontaine et le lavoir proposent deux vues à ciel ouvert tandis que le pont et la passerelle de bois sont composés selon le point de vue à travers un arche que Robert a tant apprécié chez Piranesi. Alors que les porteuses d’eau sont les principales protagonistes des vues avec la fontaine et le pont, les lavandières sont au centre des vues avec le lavoir et la passerelle. On aimerait pousser plus loin l’étude en observant les jeux de coloris mais les autres tableaux ne sont connus que par les reproductions en noir et blanc des catalogues de vente. Quoiqu’il en soit, les dessus-de-portes témoignent du sens de la construction de Robert, des effets visuels et lumineux qu’il aime aménager et de la rapidité de son pinceau pour traduire ses idées.

Un jeu de reformulation

Les archives et les sources dont nous disposons actuellement ne nous ont pas permis d’identifier le premier propriétaire de cet ensemble mettant en valeur les thèmes de l’eau et du labeur quotidien. On sait que Robert avait retenu ce sujet pour les quatre grandes vues de la salle des États à l’archevêché de Rouen, exécutées entre 1774 et 1775[2]. C’est aussi la thématique du grand tableau peint vers 1770-1775, pour la salle du billard dans le château de La Chapelle-Godefroy, appartenant à Jean Nicolas de Boullongne (Fig. 4)[3]. D’ailleurs, Robert semble avoir fractionné cette vaste composition en quatre parties pour créer l’ensemble de dessus-de-porte étudié ici. En effet, on reconnaît une portion de l’architecture du lavoir caractérisée par la voûte supportant une terrasse décorée d’une pergola. Sur le grand tableau, on retrouve l’association du pont de pierre et de la passerelle en bois que Robert a représenté isolément sur deux toiles. Robert invente la composition avec la fontaine pour apporter une cohésion iconographique à l’ensemble. De tous les motifs, Robert a repris avec fidélité seulement les trois lavandières situées sous la voûte du lavoir. Comme à son habitude, l’artiste préfère davantage reformuler les compositions. Il commence par changer de format, en passant d’une forme presque carrée à un étroit rectangle. Ensuite, il isole les motifs sur les quatre nouvelles compositions et modifie alors les architectures, en ajoutant ou retranchant des détails. Pour réaliser ce jeu de reformulation, Robert s’est peut-être appuyé sur un modello inconnu à ce jour, à moins qu’il ait travaillé directement d’après le grand tableau de Boullongne. C’est une hypothèse à envisager d’autant que Robert aimait recevoir ses clients dans son atelier pour susciter le désir de posséder la variation d’après une composition en cours d’exécution. Enfin, on connaît une copie moderne du tableau, passée en vente en 1993 sur le commerce d’art américain[4].

Sarah Catala


[1] Par exemple, la feuille de six études de figures, pierre noire sur papier vergé, H. 450 mm ; L. 355 mm, Lille, musée des beaux-arts, inv. Pl 1466. À sa mort, Robert possédait encore cinquante carnets et albums de croquis.

[2] Voir les reproductions dans cat. exp. Hubert Robert (1733-1808), un peintre visionnaire, Paris, musée du Louvre, 2016, cat. 91.

[3] Pont en ruine, vers 1770-1775, huile sur toile, H. 2,55 m ; L. 2,90 m, Troyes, musée Saint-Loup, inv. 835.17, voir l’étude complète de Guillaume Faroult dans ibid., cat. 70.

[4] Vente à New York, Christie’s, 14 janvier 1993, lot 54 (comme “attribué à Hubert Robert”).

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