Henri Le Sidaner, Neige dans le jardin à Gerberoy
Henri Le Sidaner (1862-1939)

Neige dans le jardin à Gerberoy, 1924

Huile sur toile, H. 1.5 m ; L. 1.25 m

Signée en bas à gauche : Le Sidaner

Provenance : Galerie Georges Petit, Paris (no. 7690 & 10.427)
Émile Prat, Fontanes (1928)
Collection privée
Sotheby's New York, 17 novembre 1998, lot 287
Collection privée, États-Unis
Collection privée

Bibliographie :

Camille Mauclair, Henri Le Sidaner, Paris, 1928, p. 139 (ill.).

Yann Farinaux-Le Sidaner, Le Sidaner : l’oeuvre peint et gravé, Paris, 1989, p. 206, no. 537 (ill.).

Yann Farinaux-Le Sidaner, Henri Le Sidaner – Paysages intimes, 2013, p. 232 (ill.).

Henri Le Sidaner est renommé pour ses scènes de nature morte en plein air, sereines et intimes, avec une table et des chaises désertes, et des indices de figures humaines récemment parties. Le critique d’art Camille Mauclair écrit du Sidaner : « Il considère que l’harmonie silencieuse des choses suffit à évoquer la présence de ceux qui vivent parmi eux. En effet, de telles présences sont ressenties dans toutes ses œuvres. Elles peuvent être désertées mais ne sont jamais vides. »(1)

Notre tableau est représentatif du style de maturité de l’artiste et intègre des éléments des différents mouvements qui ont caractérisé et influencé la carrière de l’artiste. Il incarne le mouvement artistique intimiste, tel que défini par Mauclair :

« Une révélation de l’âme à travers les choses peintes, la suggestion magnétique de ce qui se cache derrière elles à travers la description de l’apparence extérieure, la signification intime des spectacles de la vie. Ce sens intime n’est pas exactement le symbolisme ou le mysticisme des primitifs ou des allégoristes de la Renaissance, qui ont combiné des éléments naturels selon leur conception personnelle. Il se limite à exprimer tant de leur profondeur que les objets et les êtres, tels que nous les percevons, nous permettent de deviner la tragédie quotidienne et le mystère de l’existence ordinaire, et la poésie latente des choses. »(2)

La dette envers l’impressionnisme est visible dans le mouvement intimiste, par son application des coups de pinceau staccato et par ses jeux de la lumière. Mais l’intimisme abandonna l’intérêt pour la précision de la perspective et de la couleur au profit de la fusion de la figure dans le fond et d’une palette de couleurs plus extravagante. Ceci est évident dans notre tableau, qui est un exemple frappant du jeu délicat de l’artiste avec l’optique. Ici, au milieu de la chute de neige, trois chaises sont positionnées en situation de conversation. La vision de l’artiste de l’obscurité veloutée qui s’accompagne d’étincelles de lumière est étonnamment véhiculée dans ses flocons de neige au crépuscule. Il y a une légère inclinaison vers l’avant sur toute la scène, suggérant ainsi une confluence entre les sièges de jardin de premier plan et la maison scintillant derrière. C’est avec grand soin que Le Sidaner a composé une telle nature morte pour transmettre la présence humaine palpable et invisible qui prête à ses peintures leur intimité. « Ces objets familiers fournis en l’absence de personnes font penser que les gens viennent de partir, et sont à proximité, ou vont revenir pour prêter les objets une animation qui n’était que temporairement absente. »(3)

Le jardin de l’artiste dans sa maison de Gerberoy, que représente cette œuvre, a fourni à l’artiste une inspiration apparemment sans fin. Le Sidaner a visité Gerberoy pour la première fois en mars 1901, à la recherche d’une maison de campagne pour s’échapper de Paris. Son fils Rémy se souvient que son père « désirait planifier son propre jardin, dans lequel le paysage allait être conçu par lui personnellement et dans lequel il pourrait réaliser ses effets de lumière préférés. Il a mentionné ce projet à Auguste Rodin, qui l’a dirigé vers la région de Beauvais. Un potier vivant à Beauvais, répondant au nom de Delaherche, recommanda le village de Gerberoy. »(4)

En 1904, Le Sidaner acheta un petit chalet dans cette ville forteresse pittoresque à 100 km au nord de Paris, et commença avec ses plans pour remodeler la propriété. En 1910, la maison principale est agrandie, un pavillon et une grange d’atelier sont érigés, et un grand jardin est cultivé.

Comme le jardin de Claude Monet à Giverny, cette propriété du peintre à Gerberoy a été volontairement construite et aménagée pour être sa muse artistique. Dans un discours en 1935 célébrant ses trois décennies au village, Le Sidaner déclarait : « Faisons de notre mieux jusqu’à la fin, et, pour moi-même, je songerai sans doute je jour où le disparaîtrai à la plus humble demeure de Gerberoy, où des doigts malhabiles viendront accrocher sur les volets de la fenêtre l’unique tige fleurie qu’une grappe de roses aura alourdie et qui peut-être apportera avec elle, comme dans un mystère, l’éveil de la grâce que la nature contient en son éblouissement. »(5)

  1. C. Mauclair, Henri Le Sidaner, Paris, 1928, p. 12.[]
  2. C. Mauclair, The Great French Painters and the Evolution of French Painting from 1830 to the Present Day, London, 1903, p. 122.[]
  3. C. Lévy-Lambert, « L’oeuvre de Henri Le Sidaner », cat. exp. Henri Le Sidaner, Musée Marmottan, Paris, 1989, p. 31.[]
  4. Y. Farinaux-Le Sidaner, Le Sidaner, L’oeuvre peint et gravé, Milan, 1989, p. 14.[]
  5. Y. Farinaux-Le Sidaner, Le Sidaner, L’oeuvre peint et gravé, Milan, 1989, p. 18-19.[]
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