Orphée, 1900-1905
Huile sur carton, H. 0.53 m ; L. 0.68 m
Signé en bas à gauche : ODILON REDON.
Provenance : Collection Gustave Fayet, Béziers
Collection particulière, France
Roseline Bacou, Odilon Redon, Genève, 1956, t. I, p. 160, note 1; p. 257, texte et note 1.
Klaus Berger, Odilon Redon, Phantasie und Farbe, Cologne, 1964, p. 191, no. 126.
Alec Wildenstein, Odilon Redon. Catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Paris, 1994, vol. II (Mythes et légendes), p. 70, no. 886.
Le mythe d’Orphée, figure majeure de la mythologie grecque, a inspiré maints créateurs, peintres et musiciens, de Monteverdi à Delacroix, de Gluck à Gustave Moreau. Ce dernier a renouvelé la tradition iconographique et certainement influencé Redon en représentant une jeune fille tenant entre ses bras la lyre et la tête d’Orphée, qu’elle contemple avec gravité.
Confié aux soins d’un oncle, Odilon Redon (1840-1916) passe son enfance dans le domaine isolé de Peyrelebade, dans les Landes, où il souffre d’angoisse et d’un sentiment d’abandon. À l’âge de vingt ans, il se rend à Paris, mais ne trouve guère de satisfaction dans l’étude de l’architecture, pas plus que dans l’enseignement du peintre académique Jean-Léon Gérome. À Bordeaux, il rencontre Rodolphe Bresdin qui l’encourage et lui enseigne la gravure.
D’une vision ténébreuse…
Au cours des années 1870 et 1880, Redon produit une série de fusains et de lithographies qu’il appelle « mes peintures noires ». Ces représentations obscures, conçues pour la plupart dans sa terre de Peyrelebade, disparaîtront par la suite peu à peu de son œuvre. En 1880, il épouse une jeune fille créole, Camille Falte et neuf ans plus tard naît leur fils unique Arï. En 1897, Redon perd sa propriété de Peyrelebade et sa vision ténébreuse prend fin peu après.
…au goût de la couleur
C’est vers 1900, alors qu’il a soixante ans, qu’une nouvelle période créatrice commence pour Redon. Il recourt alors à la peinture et au pastel et déploie un sens admirable de l’orchestration chromatique. Il partage non seulement le goût de l’intimité et celui de la couleur – perçue comme un élément constructif et non plus imitatif – avec la nouvelle génération d’artistes, mais aussi un sens nouveau de l’espace qu’il dépouille progressivement de ses différents plans pour n’en constituer plus qu’un. Ainsi, la surface unie qui en résulte ne renvoie plus à l’aspect tactile de notre expérience quotidienne, mais révèle les traces magiques de ses visions immatérielles.
Le mythe d’Orphée
Notre tableau fait partie d’une série de représentations qu’élabore Redon sur le mythe d’Orphée. Fils du dieu fleuve Oeagre et de la muse Calliope, il est avant tout musicien. Il invente la cithare à neuf cordes et détient le pouvoir d’apaiser avec ses chants les bêtes féroces et les hommes sauvages. Sa femme, la nymphe Eurydice, meurt des suites d’une morsure de vipère. Hadès, dieu des Enfers, l’autorise à ramener son épouse sur terre à condition qu’Orphée ne se retourne vers elle lors du voyage de retour. Mais, ne résistant pas au désir de la revoir, Orphée tourne son regard vers Eurydice qui disparaît à jamais dans les ténèbres de la mort. Désespéré et inconsolable, Orphée, enfermé dans le souvenir de son amour perdu, reste sourd aux avances des femmes thraces qui, de dépit, le déchiquettent. Ses restes roulent dans les eaux du fleuve Nestos et, tandis que le courant l’emporte, sa tête continue d’appeler Eurydice.
Dans notre tableau, la tête d’Orphée posée sur la lyre flotte dans l’espace, au-dessus d’un rivage imaginaire. Le paysage en contrebas, avec ses arbres ou ses floraisons pourpres et verts, est traité de manière allusive. Le fond est occupé par une falaise qui évoque celle du Jour dans le décor de la bibliothèque de Gustave Fayet à l’abbaye de Fontfroide (décor achevé en 1911), dont se rapproche le style de cette œuvre. Ami peintre et important collectionneur de Gauguin et de Redon, Fayet possédait également notre tableau.