Pierre Patel l’Ancien, Paysage avec des ruines antiques et des bergers, vers 1650. Pierre Patel l’Ancien, Paysage avec des ruines antiques et des bergers, vers 1650.
Pierre Patel l'Ancien (1605-1676)

Paysage avec des ruines antiques et des bergers, vers 1650

Huile sur toile, H. 0.61 m ; L. 0.81 m

Provenance : Vente anonyme (‘The Property of a Gentleman’), Londres, Christie’s, 23 avril 1887, no. 101.
Acquis à cette vente par un collectionneur anglais, resté dans sa famille jusqu’à la vente chez Sotheby’s Londres, 10 juillet 2003, no. 53
Collection particulière

Bibliographie :

 

Natalie Coural, « Ruines antiques et lumière d’Ile-de-France. Quelques nouveaux Patel », Mythes et réalités du XVIe siècle. Foi, idées, images, Alessandria, 2008, p. 208-209, p. 213-214, p. 227 fig. 3.

 

Œuvres en rapport :

Une copie de notre tableau, « Paysage avec des ruines classiques et des bergers », est signalée par Natalie Coural, Les Patel. Pierre Patel (1605-1676) et ses fils. Le paysage de ruines à Paris au XVIIe siècle, Paris, 2001, p. 199, CP5. Cette copie est de nouveau passée en vente à Versailles, Chevaux Légers, 22 juillet 2007, « Paysage avec des ruines classiques et des bergers gardant un troupeau », voir Coural 2008 p. 214-215.

Jeunesse sous influence nordique

Fils de maçon, Pierre Patel l’Ancien (1605-1676) est né en Picardie, à Chauny, ville située à une dizaine de kilomètres du magnifique château de Blérancourt, disparu aujourd’hui. Édifié par Salomon de Brosse, ce château constitue un important chantier artistique entre 1612 et 1620. Il est tout à fait possible que le jeune Patel se soit rendu sur ce chantier où travaillait entre autres le peintre Martin Fréminet (1567-1619). On ne sait rien de la formation de Pierre Patel.

Il est désigné comme peintre lorsqu’il se marie à Paris en 1632. Comme de nombreux artistes provinciaux et étrangers, Patel s’installe près de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, quartier ne relevant pas de la corporation parisienne, assez contraignante. Devant l’afflux de peintres étrangers, celle-ci avait rendu en 1619 plus long et plus coûteux l’accès à la maîtrise, et dans la première moitié du XVIIe siècle, le quartier devient le fief des artistes nordiques à Paris. Patel est reçu maître peintre à la maîtrise de Saint-Germain-des-Prés au plus tard en 1634[1]. En 1635, il accède à la maîtrise parisienne de peinture et de sculpture, future Académie de Saint-Luc, à laquelle il restera fidèle. Il ne sera jamais membre de l’Académie royale, moins ouverte à l’époque à la peinture de paysage.

Dans l’atelier de Simon Vouet

Les années suivantes semblent marquées par l’ascension professionnelle et sociale de Patel. Il devient l’un des collaborateurs de Simon Vouet (1590-1649), peintre le plus en vogue pendant le deuxième quart du XVIIe siècle et qui renouvelle la peinture parisienne. Après avoir passé quinze ans à Rome où il avait mené une brillante carrière, celui-ci avait été rappelé à Paris par Louis XIII en 1627. La date d’entrée de Patel dans son atelier demeure incertaine, entre 1635 et 1639. En 1641, Simon Vouet est le parrain de son fils Simon, et Marie Grégoire, épouse du sculpteur Jacques Sarazin, en est la marraine. Patel côtoie alors le style brillant de Vouet dans l’atelier duquel il semble se spécialiser dans le paysage. Il s’attache à la réalisation de cartons de tapisserie, apprend à travailler en équipe et y fait des rencontres déterminantes. Ainsi l’artiste se lie avec Eustache Le Sueur (1616-1655), qui sera en 1644 le parrain de sa fille Elisabeth.

Commandes prestigieuses

D’importantes commandes jalonnent dès lors sa carrière. En 1645-1646, Patel travaille à la décoration du Cabinet de l’Amour de l’hôtel de Nicolas Lambert. Ce chantier réunit des peintres de premier plan : Eustache Le Sueur, Jan Asselijn, Berthollet Flémalle, Henri Mauperché, François Perrier, Giovanni Francesco Romanelli et Herman van Swanevelt. Patel atteint alors une totale maîtrise de son style. Dans ses trois paysages,[2] il se distingue par l’emploi d’une gamme colorée plutôt froide, avec une prédominance de bleus et de tons sonores et chantants, et par la représentation de ruines antiques.

Il intervient une seconde fois à l’hôtel Lambert entre 1651 et 1655. Pour le Cabinet des Muses, l’artiste crée les paysages de cinq toiles de grandes dimensions, dont les figures des Muses sont dues à Eustache Le Sueur (Paris, musée du Louvre)[3].

Il reçoit sa première commande royale en 1660 : deux paysages pour le décor du cabinet sur l’Eau d’Anne d’Autriche au Palais du Louvre (Paris, musée du Louvre). Entre 1668 et sa mort huit ans plus tard, il exécute une série de vues des résidences royales, dont on connaît la Vue de Versailles, 1668 (château de Versailles). Il termine sa carrière en devenant « Peintre ordinaire du Roy pour les maisons royales ».

Son fils Pierre-Antoine Patel le Jeune (1648-1707), qui fut son élève, poursuivra son style sans toutefois atteindre la même célébrité.

L’œuvre et évolution stylistique

Dans son catalogue raisonné de l’artiste publié en 2001, Natalie Coural attribue à Pierre Patel une cinquantaine de tableaux, dont quelques-uns sont signés et datés, ainsi qu’une vingtaine de dessins. Natalie Coural pense que l’artiste travaillait lentement, broyait soigneusement les pigments et surtout respectait scrupuleusement les temps de séchage,[4] raisons pour lesquelles la plupart de ses tableaux sont remarquablement conservés.

Ses premières œuvres datent des années 1630 et sont fortement marquées par l’influence flamande, notamment celle de Jacques Fouquières (1580/90-1659). Ses compositions gardent alors un aspect mouvant et instable qui disparaîtra par la suite. Ses figures sont trapues, parfois voûtées, proches de celles de Paul Bril (1554-1626), et les contrastes d’ombre et de lumière rappellent les tableaux de Cornelis van Poelenburgh (1594-1667). Autour des années 1640-1645, l’influence de Claude Lorrain (1600-1682) se fait remarquer dans l’équilibre des éléments architecturaux et végétaux et l’harmonie générale, ainsi que dans les lignes principales de ses compositions, dans lesquelles on trouve davantage d’éléments réalistes.

Atticisme parisien

À la différence des paysages contemporains peints à Rome par Nicolas Poussin (1594-1665), Claude Lorrain et Gaspard Dughet (1615-1675), ceux de Patel sont tous peints à Paris. L’artiste ne se serait en effet jamais rendu en Italie[5]. C’est dans la capitale française que Patel élabore aux côtés de Laurent de La Hyre (1606-1656), Henri Mauperché (1602-1686) et Gabriel Pérelle (1602-1677), un modèle de paysages aux couleurs lumineuses qui mêle avec rigueur et élégance la nature aux éléments antiques dans une qualité de lumière claire et transparente. L’accord subtil entre le végétal et la ruine, avec des effets savants de perspective atmosphérique, est l’un des traits les plus originaux de ces paysagistes parisiens. Patel occupe une place à part dans un nouveau style de peinture qui s’épanouit au temps de Mazarin. Défini comme l’Atticisme parisien par Jacques Thuillier,[6] il se caractérise par un retour au monde antique et une quête d’équilibre et de clarté[7].

Passionné de ruines

Au milieu du XVIIe siècle, on assiste en effet, en France et tout particulièrement à Paris, à l’éclosion d’un genre de peinture traduisant une véritable ‘poétique des ruines’[8], qui répond parfaitement à l’intérêt grandissant pour la perspective et au goût sophistiqué pour les édifices antiques et la vie champêtre qui se manifeste dans les romans à sujets pastoraux. Il s’agit là d’une Arcadie transposée en Île-de-France.

Pour inventer ses reconstitutions antiques, Patel s’est sans doute constitué un répertoire de formes. La diffusion la plus large se faisait grâce aux nombreux recueils d’estampes illustrant les monuments de l’Antiquité romaine, publiés dès le XVIe siècle, dont celui publié à Paris en 1585 par Jacques Androuet Du Cerceau, très répandu au XVIIe siècle[9].

On retrouve dans notre tableau le goût de Patel pour la pierre rongée par le temps, dans laquelle s’incrustent des éléments de végétation ; la ruine, inséparable de la nature, est recouverte d’arbustes et de plantes grimpantes. Elle se dresse dans une lumière cristalline, et sa rigueur géométrique est contrebalancée par une recherche poussée du rendu de l’atmosphère. L’artiste nous fait sentir l’air entourant les formes.

Fervent des lointains

Notre paysage présente une composition parfaitement équilibrée, avec les restes d’un temple antique d’inspiration romaine sur la droite et, sur la gauche, un arbre au tronc filiforme dont le feuillage se découpe à contre-jour telle une dentelle sur le ciel bleu et orangé. L’articulation des plans est nettement marquée. Des zones sombres alternent avec des parties plus claires. Les contrastes, assez forts dans les premiers plans, s’estompent dans les lointains. Cette échappée vers des horizons bleutés est une idée chère à Patel.

Épris de reflets sur l’eau

Une rivière se glisse par la droite, entre le premier plan et les ruines, et forme une petite cascade. Elle sillonne par des diagonales à travers la composition et fait progresser le regard du spectateur vers les lointains. Le goût de Patel pour les paysages inondés vient peut-être des marais picards qu’il avait sans doute contemplés dans sa jeunesse. L’eau avec ses ombres mystérieuses et ses reflets bleus et blancs, les pierres qui s’effritent et que recouvrent mousses et brins d’herbes, sont en effet une constante dans l’œuvre de l’artiste. Les pierres plates au bord de l’eau, tantôt couvertes de mousses, tantôt aux angles aigus, sont typiques de Patel, comme le sont les roseaux acérés des premiers plans.

Typique Patel

Le tableau présente une lumière froide et précise tout à fait caractéristique de l’art de Patel. La gamme colorée est dans l’ensemble froide, avec des bleus très lumineux qui s’étendent en s’éloignant, et des verts aux multiples nuances. Les groupes d’animaux et de personnages, vêtus de costumes modernes, animent la composition de couleurs vives. On découvre avec bonheur à l’arrière-plan d’autres minuscules silhouettes très allongées se détachant sur un fond sombre. Il s’agit là d’une autre signature de Patel. On remarque au fond du tableau plusieurs constructions rustiques. La coexistence d’une architecture antique et d’éléments familiers ou contemporains est également tout à fait caractéristique de l’art de Patel, comme le sont la façon de représenter les troncs couverts de végétation légère, le traitement des feuillages, en faisant contraster des découpes sombres et des branches plus fines, avec des feuilles aigües bien caractéristiques, ainsi que le graphisme du feuillage et des joncs au premier plan.

Notre tableau dans l’œuvre de Patel

Certains motifs de notre tableau se retrouvent précisément dans d’autres toiles de Patel. Par exemple, l’arbre du premier plan à gauche, ainsi que la chèvre au centre, se retrouvent dans une œuvre datée aux alentours de 1640 (fig. 1)[10]. Il semblerait que le peintre se serve d’un même dessin pour plusieurs compositions peintes, preuve qu’il réutilise des motifs à plusieurs années d’écart.

Natalie Coural rapproche également notre tableau d’un paysage conservé au musée de Bâle, signé et daté de 1650 (fig. 2)[11]. On y remarque une organisation similaire des plans, la même répartition des masses d’arbres, et enfin la présence de la même lavandière portant une corbeille de linge sur la tête.

Caractéristique d’un classicisme clair et raffiné, notre tableau illustre parfaitement la période de la maturité de l’artiste, dans son aisance de la mise en page, l’attention portée aux plus fines nuances de l’atmosphère, le rendu des reflets sur les eaux et l’habileté à camper des petites figures. Selon Natalie Coural, notre tableau ne faisait probablement pas partie d’un décor et était destiné à un amateur. Elle le date autour de 1650[12].


[1] Natalie Coural, Les Patel. Pierre Patel (1605-1676) et ses fils. Le paysage de ruines à Paris au XVIIe siècle, Arthéna, Paris, 2001, p. 17.

[2] Natalie Coural, 2001, PP 13-15.

[3] Natalie Coural, 2001, PP 23-27.

[4] Natalie Coural, « Ruines antiques et lumière d’Ile-de-France. Quelques nouveaux Patel », Mythes et réalités du XVIe siècle. Foi, idées, images, Alessandria, 2008, p. 207.

[5] Le fait qu’un certain nombre d’artistes – comprenant Michel Corneille l’Ancien (vers 1601-1664), Philippe de Champaigne (1602-1674), Laurent de La Hyre (1606-1656), Charles Poerson (1609-1667) et Eustache Le Sueur (1616-1655) – n’aient pas ressenti le besoin d’effectuer le voyage en Italie est interprété par leurs contemporains comme un signe de maturité de l’École française de peinture. Sylvain Laveissière, cat. exp. Le Classicisme Français. Masterpieces of Seventeenth Century Painting, The National Gallery of Ireland, Dublin, 1985, p. XXXVIII.

[6] Jacques Thuillier, « Au temps de Mazarin. L’‘atticisme’ parisien », La Peinture française. De Le Nain à Fragonard, Genève, 1964, p. 65-69 ; l’expression « atticisme » vient de Bernard Dorival, La Peinture française, Paris, 1942, t. I, p. 6.

[7] Alain Mérot, Éloge de la clarté. Un courant artistique au temps de Mazarin, 1640-1660, cat. exp. Dijon, musée Magnin, Le Mans, musée de Tessé, 1998.

[8] Roland Mortier, La poétique des ruines en France. Ses origines, ses variations de la Renaissance à Victor Hugo, Genève, Droz, 1974.

[9] Jacques Androuet Du Cerceau, Livre des édifices antiques romains, contenant les ordonnances et desseings des plus signalez et principaux bastiments qui se trouvaient à Rome du temps qu’elle estoit en sa plus grande fleur… par Jaques Androuet Du Cerceau, [Paris] : [Denis Duval], 1584.

[10] Paysage de ruines avec un berger, vers 1640, huile sur toile, H. 0,78 m ; L. 0,97 m, Paris, Banque Paribas. Natalie Coural, Les Patel. Pierre Patel (1605-1676) et ses fils. Le paysage de ruines à Paris au XVIIe siècle, Arthéna, Paris, 2001, PP 10.

[11] Paysage avec des figures et une ruine à gauche, huile sur cuivre, H. 0,31 m ; L. 0,45 m, signé et daté en bas au centre : « P. PATEL 1650. », Bâle, Kunstmuseum, inv. 1181. Natalie Coural, Les Patel. Pierre Patel (1605-1676) et ses fils. Le paysage de ruines à Paris au XVIIe siècle, Arthéna, Paris, 2001, PP 17.

[12] Natalie Coural, 2008, p. 208.

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