Portrait d’apparat de Louis XVI, dans le grand habit du jour de son sacre, 1780-1785
Huile sur toile, H. 2.68 m ; L. 1.9 m
Signée en bas à gauche : Callet
Provenance : Très probablement donné par le roi Louis XVI à Elisabeth Louise Lenoir de Verneuil, marquise de Soucy (1729-après 1789), gouvernante des enfants de France
Probablement vente de la collection de la marquise de Soucy, Paris, Hôtel Drouot, le 6 mai 1893, « Portrait en pied donné par le Roy en 1785, inscription figurant au bas du cadre en bois sculpté aux Armes de France et d’Autriche, Chiffre du Roi dans les angles, H. 2,75 ; L. 1,95 »
Vente anonyme, Angers, Hôtel des Ventes, 24-25 mars 1976 (« Portrait en pied donné par le Roi à la Marquise de Soucy, H. 2,72 ; L.1,91 m. »)
Collection Robert de Balkany
Collection privée, France
Ce portrait officiel du roi Louis XVI, diffusé dans de nombreuses répliques en France et en Europe, n’avait pas vocation à faire preuve d’originalité. Callet reprend la formule établie en 1701 par Hyacinthe Rigaud avec son Portrait de Louis XIV, utilisée également par Louis-Michel Van Loo dans son Portrait de Louis XV en 1763, et qui restera le modèle en vigueur jusqu’au XIXe siècle.
Devant une grande draperie formant un dais, Louis XVI est représenté dans la même position que son grand-père Louis XV : debout légèrement de trois quarts sur une estrade. Comme Louis XIV peint par Rigaud, le monarque pose son regard sur le spectateur. Callet a réussi à donner au visage du roi l’expression de la noblesse qu’on attend, mais aussi de la bonhommie qui enchante. Plus sobre par une gamme de couleurs limitée aux tons bleu, blanc et or, notre effigie du roi est marquée d’aisance et de souplesse. Le monarque porte l’habit du sacre des rois de France, un manteau bleu fleurdelisé doublé d’hermine. Le blanc d’hermine irradie sur la composition et éclaircit le visage du roi. La composition est animée par le mouvement des étoffes et le rendu soigné de leurs matières : l’effet brillant des soies de sa chemise, de ses culottes bouffantes, et de ses bas blancs, contraste avec le velouté de l’hermine, ou la légèreté des plumes du chapeau. Le roi porte des chaussures blanches à large boucle et talon rouge. Sur son plastron, on distingue le collier de l’Ordre du Saint Esprit et celui de la Toison d’Or. On aperçoit au fourreau sur sa cuisse gauche l’épée dite de Charlemagne, utilisée lors du sacre des rois de France depuis Philippe Auguste en 1179. Pour aboutir à une représentation authentique, Callet s’est fait prêter les Regalia royaux conservés à l’Abbaye de Saint-Denis. Ces insignes du pouvoir royal sont déployés sur un coussin fleurdelisé, à gauche de la composition : la main de justice, la couronne et le sceptre tenu de la main droite du roi. Le dossier doré du magnifique trône est orné d’un bas-relief représentant une allégorie de la Justice. La colonne qui clôt la composition à gauche est un élément traditionnel de portraits depuis la Renaissance qui était particulièrement prisé par Antoine Van Dyck. La taille imposante de la toile confère grandeur et majesté au monarque qui domine le spectateur.
Ce portait d’apparat est le fruit d’une commande émanant du Ministère des Affaires étrangères en août 1778. Son ministre, le comte Charles Gravier de Vergennes (1719-1787), confia à Antoine-François Callet, alors au sommet de sa brillante carrière, la création d’une effigie du roi en costume de sacre. Ce tableau devait être réalisé en de multiples versions, qui seraient envoyées dans les ambassades et cours étrangères, comme « présents du Roi ». Fidèles reproductions des traits du monarque, ces portraits officiels devaient être un substitut de la présence physique du monarque (on ne lui tournait pas le dos par exemple). En effet, depuis que Louis XIV avait rompu avec la tradition des cours itinérantes en installant la cour à Versailles, la diffusion des images du souverain était devenue essentielle.
Il est intéressant de noter qu’au moment de la commande à Callet, le portraitiste talentueux Joseph-Siffrein Duplessis (1725-1802) venait d’achever un somptueux portrait de Louis XVI en costume de sacre, commandé par le comte d’Angiviller en 1777. Ce tableau, dont de nombreuses répliques existent, ne correspondait vraisemblablement pas à l’image du roi que le comte de Vergennes avait l’intention de diffuser à l’étranger.
Contrairement à Duplessis, le jeune Callet n’était pas portraitiste mais peintre d’histoire. À l’instar de Berthélémy, Vincent ou Ménageot, il témoigna par son œuvre du renouveau classicisant de la peinture d’histoire en France. Callet s’était particulièrement distingué par ses grands décors peints1, dont quelques-uns des plus prestigieux ont malheureusement disparu2. Si le comte de Vergennes le choisit pour exécuter le portait officiel du roi, c’est sans doute parce que l’artiste avait peint, durant son séjour à Rome en 1772, un grand portrait du cardinal de Bernis3, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, qui avait été fortement acclamé par le public romain.
La carrière de portraitiste de cour que Callet mena en parallèle de celle de peintre d’histoire débuta précisément avec cette prestigieuse commande de 1778. Par la suite, Callet fut chargé non seulement d’en fournir de nombreuses versions jusqu’en 17904, mais également de peindre plusieurs portraits des deux frères du roi. Dès lors, Callet porta le titre de « Peintre du Roi, 1er Peintre de Monseigneur le Comte d’Artois et Peintre de Monsieur. »
Dans une lettre datant du 5 octobre 1779, le ministre des Affaires étrangères demanda au comte d’Angiviller que Callet obtienne deux séances de pose du Roi. L’artiste avait déjà bien avancé sur le tableau et souhaitait peindre la tête d’après nature. Il proposa pour cela de faire transporter le portrait de Paris à Versailles et de le faire placer dans une des pièces de l’appartement du Roi.5 Nous ne savons pas quand exactement Callet obtint ses séances de pose. Dans tous les cas, au cours de l’année 1780, Callet acheva « l’exemplaire premier », pour lequel il reçut la somme considérable de 12000 livres, preuve de la haute estime qu’on lui portait. En comparaison, le grand portrait de Marie-Antoinette d’Elisabeth Louise Vigée Lebrun, datant de 1779, fut payé 6000 livres.
Cet « exemplaire premier » du portrait de Louis XVI, aussi étonnant que cela puisse paraître, n’est pas aisé à identifier aujourd’hui. Marc Sandoz et Brigitte Gallini6 n’excluent pas qu’il pourrait s’agir de la version – amputée en hauteur et en largeur – conservée au Musée d’art Roger-Quilliot à Clermont-Ferrand. Pourrait-il s’agir aussi du même tableau exposé au Salon de 1789, no. 63 (10 x 7 pieds, soit 3,25 m x 2,27 m) ?7
Le musée de Versailles, qui en détenait déjà une version (sans doute plus tardive), acquit en 2016 une réplique de petite taille8, autographe et signée. Callet l’avait peinte pour le comte de Vergennes et l’œuvre provient directement de la famille de ses descendants.
Entre 1781 et 1790, de nombreux exemplaires de notre portrait, originaux ou copies d’atelier, tant en pied qu’à demi-corps ou en buste, servirent de cadeaux diplomatiques. Nous ne savons pas combien de répliques Callet exécuta de sa main, ni combien il en retoucha. Dans les Archives du Ministère des Affaires Étrangères apparaissent les noms de deux autres peintres, Lassave et Hubert, chargés d’exécuter des copies dans la seconde moitié des années 1780. Callet serait l’auteur de plusieurs versions peintes entre 1780 et 1785. Mis à part le tableau de Clermont-Ferrand et la petite réplique de Versailles, deux autres exemplaires sont considérés autographes : celui du Château d’Ambras près d’Innsbruck (envoyé à la cour de Vienne par Louis XVI) et celui du musée du Prado à Madrid (Louis XVI l’avait offert en 1783 au comte d’Aranda, ambassadeur d’Espagne). Marc Sandoz liste d’autres versions (de localisation inconnue), notamment une signée Callet qui se trouva dans la collection Hirsch jusqu’en 1906.9
Notre tableau se distingue des nombreuses versions existantes car il est l’un des rares portraits portant la signature de Callet. Les deux autres portraits signés connus sont celui de Versailles (signé au verso) et celui du Château d’Ambras près d’Innsbruck. La belle qualité de sa facture et la finesse de l’exécution du visage du souverain laissent penser qu’il s’agit ici de l’une des premières versions autographes du portrait au début des années 1780. Il fut très probablement donné par Louis XVI à Élisabeth Louise Lenoir de Verneuil, marquise de Soucy (1729 – après 1789), Sous-Gouvernante des Enfants de France. Ce portrait de Louis XVI fut énormément diffusé par la gravure, dont on doit la plus belle à Charles Bervic, qui fit les premières épreuves en 1785. Peut-être exécutée d’après la version de Clermont-Ferrand, cette gravure exposée au Salon de 1791 (no. 434) a vu de nombreuses rééditions.
En 1816, alors que l’artiste était âgé de soixante-treize ans, il apprit qu’une copie de son fameux portrait de Louis XVI fut envoyée aux Gobelins en vue d’être tissée, sans avoir été au préalable retouchée de sa main. Outré, l’artiste demanda au comte de Blacas, ministre de la Maison du Roi, et à Dominique Vivant Denon l’autorisation de retouche, qui lui semblait essentielle et qu’il proposa de faire à titre gracieux. Comme Blacas et Denon trouvaient le portrait parfaitement ressemblant, cette requête lui fut refusée.10
Étant donné l’importance de cette commande et l’ampleur de la diffusion de ce portrait, il n’est pas si surprenant que, de la longue et riche carrière de Callet, l’histoire ne semble retenir que son activité de portraitiste de cour.
- Parmi les décors conservés sont la coupole du Salon de Compagnie de l’hôtel de Bourbon (1774), les peintures en trompe-l’œil de la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Sulpice (1777), Le Printemps de la Galerie d’Apollon du Palais du Louvre (1780) et le Lever de l’Aurore du Sénat (1803), voir Brigitte Gallini, « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », publié par La Tribune de l’Art en janvier 2016, p. 14. [↩]
- Brigitte Gallini cite parmi les œuvres disparues le plafond du Palazzo Spinola à Gênes (1773), les décors de l’hôtel Thélusson (1781) et en partie ceux du Sénat (1804-1807), voir son article « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », publié par La Tribune de l’Art en janvier 2016, p. 14. [↩]
- Antoine François Callet, Portrait du cardinal de Bernis, ambassadeur de France, 1772, huile sur toile, H. 2,14 m ; L. 1,65 m, collection privée, France, publié par Brigitte Gallini « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », La Tribune de l’Art, janvier 2016, p. 3, fig. 4. [↩]
- Des copies du Portrait de Louis XVI sont commandées à Callet jusqu’en juillet 1790, Arch. Min. Aff. Etr., Présents du Roy, 2095 et Registre récapitulatif 1753-1791 (cité par Brigitte Gallini « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », La Tribune de l’Art, janvier 2016, p. 16, note 43). [↩]
- Lettre du comte de Vergennes au comte d’Angiviller, citée par Marc Sandoz, Antoine-François Callet (1741-1823), Paris, 1985, p. 96. [↩]
- Marc Sandoz, Antoine-François Callet (1741-1823), Paris, 1985, p. 100 ; Brigitte Gallini « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », La Tribune de l’Art, janvier 2016, p. 16, note 38. [↩]
- Cette hypothèse a été émise par G. Lacambre, cat. exp. De David à Delacroix, Paris, 1974, no. 17 ; voir aussi Jean-François Heim, Claire Beraud, Philippe Heim, Les Salons de Peinture de la Révolution française 1789-1799, Paris, 1989, p. 157. Marc Sandoz pense qu’il s’agit du tableau de Versailles, Marc Sandoz, Antoine-François Callet (1741-1823), Paris, 1985, p. 99. [↩]
- Huile sur toile, signée, H. 1,50 m ; L. 1,03 m. [↩]
- Marc Sandoz, Antoine-François Callet (1741-1823), Paris, 1985, p. 99 : huile sur toile, signée Callet, H. 2,65 m ; L. 1,86 m, vente Hirsch, 22 février 1906, no. 6. [↩]
- Marc Sandoz, Antoine-François Callet (1741-1823), Paris, 1985, p. 96 ; Brigitte Gallini « Antoine François Callet (1741-1823), évolution d’un style lié aux aléas de l’histoire », La Tribune de l’Art, janvier 2016, p. 13-14. [↩]