Portrait de Jean Restout, directeur de l’Académie, 1761
Terre cuite, H. 0.58 m ; L. 0.54 m ; P. 0.26 m
Signée et datée au dos : Restou directeur de l’accad. fait par J. B. Lemoyne 1761.
Provenance : Collection privée, France
Stanislas Lami, Dictionnaire des sculpteurs de l’Ecole française au dix-huitième siècle, Paris, 1911, t. II, p. 64.
Louis Réau, Une Dynastie de sculpteurs au XVIIIe siècle : les Lemoyne : biographie et catalogue critiques, Paris, 1927, p. 151, no. 130 (comme disparu).
Jean Seznec, Jean Adhémar, Diderot : Salons, vol. I, 1759-1761-1763, Oxford, 1957, p. 137.
Jean-Baptiste II Lemoyne est le plus connu d’une dynastie de sculpteurs. Elève de son père et de Robert Le Lorrain, l’auteur des Chevaux d’Apollon, il a formé de nombreux élèves, parmi lesquels Falconet, Pigalle, Caffieri et Pajou. Lemoyne était particulièrement favorisé par des commandes à la gloire de Louis XV et il gravit rapidement tous les échelons de la carrière académique où il devait succéder à Boucher comme directeur de l’Académie en 1768. Créateur de sculpture religieuse et monumentale (dont peu subsiste aujourd’hui), Lemoyne excellait dans l’art du portrait et c’est sans doute l’aspect le plus brillant de son œuvre. Portraitiste officiel du roi et de sa famille dont il multiplia les bustes, il figura aussi les grands de la Cour, les financiers, les parlementaires, les savants, les écrivains, les artistes et les acteurs.
Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire : « Nul sculpteur n’était son égal pour composer un buste avec esprit, pour exécuter avec grâce et pour donner au marbre ou à la terre la ressemblance et la vie. » (Grimm, Correspondance littéraire, t. X, p. 381.)
Contrairement aux bustes de son disciple Caffieri, souvent investis d’une fierté un peu insolente, les portraits de Lemoyne donnent l’impression que l’artiste éprouvait une vraie sympathie pour ses modèles. Il semble avoir eu la capacité de se mettre dans la peau de ses modèles, une empathie instinctive.
Notre buste fait partie d’une série de portraits d’artistes et d’acteurs, d’une qualité exceptionnelle par leur air d’intimité. Dans son catalogue raisonné sur l’artiste, Louis Réau commente ces portraits ainsi : « Dans ces effigies d’amis où l’on sent le travail spontané, exécuté con amore, dans ces portraits de confrères où il mettait son point d’honneur à satisfaire de bons juges, Lemoyne a prodigué le meilleur de son talent : c’est la quintessence de son œuvre. » (Louis Réau, Une Dynastie de sculpteurs au XVIIIe siècle : les Lemoyne : biographie et catalogue critiques, Paris, 1927, p. 105.) Ces bustes en terre cuite sont à mettre en parallèle avec les pastels de Maurice Quentin de La Tour.
Tandis que ses marbres sont plus formels et distants, ses terre cuites gardent toute la spontanéité de la création. Peu de dessins de Lemoyne subsistent, il pensait en terre. Le modelage était son instrument de recherche et c’est là que son génie est le plus perceptible.
Lemoyne emploie une terre très fine, d’un rose très pâle et tirant sur le jaune, à la différence de Pigalle qui utilisait une terre d’un grain plus épais, d’un ton plus foncé et plus chaud. Observateur attentif de la nature, Lemoyne y transpose les pulsations de la vie. Ce portrait est extraordinairement vivant, d’une virtuosité éblouissante dans le modelé. D’une manière unique il réussit à imprimer à l’épiderme l’apparence d’un tissu vivant, grâce à un riflage qui égratigne la surface de cette terre cuite et lui donne un granulé caractéristique, simulant les pores de la peau. Le jeu de la lumière sur la terre donne l’aspect vivant et animé que cherchait Lemoyne avec passion.
On observe par ailleurs sur notre buste l’une des caractéristiques formelles de Lemoyne, qui aide généralement à lui attribuer des œuvres non-signées : un léger désaxement vers la gauche de la lèvre inférieure avec une petite cassure formant facette pour accrocher la lumière. Cette particularité est chez Lemoyne aussi typique que pour Houdon le traitement des yeux qu’anime une parcelle lumineuse en suspension sous le rideau des paupières.
Dans son approche artistique, Lemoyne était clairement plus spontané qu’intellectuel, et tout à fait indifférent aux concepts de l’Antiquité. En effet, il n‘a pas reçu d’éducation littéraire et il dut renoncer au séjour à Rome que devait lui procurer le premier Grand prix en 1725. Il a conservé toute sa vie un goût particulier et prédominant pour la peinture et s’est entouré de conseils de deux des plus grands peintres de portrait de cette génération : François de Troy et Nicolas de Largillière, rubénistes instinctifs.
L’art de Lemoyne se situe en effet à l’opposé de celui de Bouchardon. Il était aussi irrégulier et fougueux que ce dernier méthodique et réfléchi. Sa recherche permanente de mouvement, son attachement au costume moderne et son goût pour la polychromie – il a peint en couleurs certaines de ses sculptures religieuses – étaient jugés sévèrement par certains de ses contemporains tels que Mariette et Diderot.
Mais si Lemoyne était critiqué en son temps pour certains aspects de son œuvre, il était un maître incontesté du portrait en terre cuite. Sa grande maîtrise technique n’était jamais mise en cause. Notre buste était montré au public lors du Salon de 1761. Diderot passe rapidement sur les cinq œuvres exposées par Lemoyne, alors adjoint à recteur de l’Académie, mais relève tout de même la qualité de notre buste.(Diderot, Salon de 1761 : «Par Le Moyne, le buste de Mme de Pompadour, rien ; celui de Mlle Clairon, rien ; d’une Jeune Fille, rien. Ceux de Crébillon et de Restout valent mieux.», Seznec Adhémar, vol. I, Oxford, 1957, p. 137.)
Ce portrait de Jean Restout est un hommage d’un grand sculpteur à un grand peintre, un collègue académicien, récemment devenu directeur de l’Académie royale. Agé de 69 ans, Jean Restout était à l’apogée de sa carrière.
Lemoyne a représenté Jean Restout tournant la tête légèrement vers la droite, coiffé d’une longue perruque dont les boucles retombent sur les épaules. On remarque son attention porté au costume, consistant d’une veste sur un gilet et d’un jabot de linon. La bouche serrée, esquissant un léger sourire, et le regard intelligent trahissent une expression pétillante. Ce buste est d’une rare vivacité.
Jean Restout, neveu et disciple de Jean Jouvenet et, comme lui, originaire de Rouen, s’installa à Paris en 1707. Reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1720, il fut un protagoniste essentiel de la Régence jusqu’à la fin du règne de Louis XV. Auteur de peintures mythologiques et surtout de tableaux religieux, il forma de nombreux élèves et rédigea un Essai sur les principes de la peinture. Il connut les plus hauts honneurs sous le mandat du marquis de Marigny, directeur des Bâtiments du Roi à partir de 1751. L’influence de Charles-Nicolas Cochin, ancien élève de Restout, chargé en 1755 du «détail des arts» n’y était pas pour rien.
C’est en juillet 1760 que Restout fut élu directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture. En juin 1762, il est renouvelé en son poste malgré les efforts de Dandré-Bardon pour le supplanter, au moment où Carle Vanloo fut nommé premier peintre du roi. En 1763, ce dernier devint directeur, et Restout chancelier, le grade le plus élevé d’un officier à l’Académie.
Nous ne connaissons aucun autre portrait sculpté de Jean Restout, mais son visage nous est familier par plusieurs tableaux. Tout d’abord par l’autoportrait qu’il a placé au second plan du Saint Vincent de Paul prêchant de 1739 (Versailles, église Notre-Dame). De célèbres portraits de Restout ont été faits par son ami Maurice Quentin de La Tour : l’un figura au Salon de 1738 et un autre lui servit de morceau de réception, en 1746 (Paris, musée du Louvre. M. Quentin de La Tour a retouché ce portrait en 1770. Pierre-Etienne Moitte l’a gravé comme pièce de réception à l’Académie en 1771.); un troisième portrait, conservé au musée Antoine Lécuyer à Saint-Quentin, a pu être une étude préparatoire à ces derniers. Enfin, un portrait de Restout peint par son fils Jean-Bernard, exécuté probablement avant le départ de ce dernier à Rome en 1761, est plus ou moins contemporain à notre sculpture (Identifié par Ph. De Chennevières et entré en 1854 au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon ; il existe une étude peinte sur toile ovale, localisation actuelle inconnue).