Portrait de Mardochée Montargis, musée Girodet
Anne-Louis Girodet (1767-1824)

Portrait de Mardochée, Vers 1790-1800.

Huile sur toile, H. 0.61 m ; L. 0.49 m

Provenance : Atelier de l’artiste jusqu’à sa mort.
Collection privée, France.

Bibliographie :
  • Sidonie Lemeux-Fraitot, « Inventaire après décès d’Anne-Louis Girodet-Trioson (1776-1824) », in Valérie Bajou et Sidonie Lemeux-Fraitot, Inventaires après décès de Gros et de Girodet. Documents inédits, Paris, 2002, rééd. 2003, p. 229, no. 196 : « sont attachés à la porte d’entrée les trois tableaux Suivans tête de Mardochée prisée trente francs (…) ».
  • Jean-Marie Voignier, « La fortune de Girodet », Bulletin de la Société d’émulation de l’arrondissement de Montargis, no. 128-129, avril 2005 : Etat descriptif des objets d’art et autres effets mobiliers dépendant de la succession de M. Anne-Louis Girodet, p. 27, no. 196 : « sont attachés à la porte d’entrée les trois tableaux suivans : la tête de Mardochée prisée trente francs (…) »

Anne Louis Girodet de Roucy, dit Girodet-Trioson, l’un des peintres majeurs de l’école française, est une grande figure de la transformation de l’art français de la Révolution à la Restauration. Son œuvre n’entre pas dans des catégories du néoclassicisme ou du romantisme. Tout en poursuivant les principes de l’Ecole de David son maître, Girodet y introduit une distorsion en s’attachant à la représentation de l’immatériel et du mystère.

Envoyé très tôt à Paris, où de bonnes études classiques révèlent ses dons littéraires et artistiques, il a pour tuteur le docteur Trioson, dont il deviendra plus tard le fils adoptif. En 1784, il entre dans l’atelier de David et prépare le prix de Rome, qu’il obtient en 1789 avec Joseph reconnu par ses frères (Paris, Ecole nationale des Beaux-Arts), dans un style très davidien. C’est précisément le début de sa distance affirmée vis-à-vis de David, qui s’exprimera de manière croissante dans son œuvre peint. Son envoi de Rome Le Sommeil d’Endymion (Paris, musée du Louvre), achevé en septembre 1791, manifeste cette rupture avec le maître : c’est le subjectif qui l’emporte sur la raison. Le tableau remporta un grand succès et fonda sa réputation de peintre original et poétique.

En parallèle à ses innovations, Girodet prépare déjà l’autre tableau majeur de son séjour romain : Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxes (Paris, Faculté de Médecine), peint par amitié pour son protecteur le docteur Trioson dont la profession a inspiré le sujet. Commencé immédiatement après l’Endymion, ce tableau montre une toute autre approche. Girodet se mesure ici à la manière de David, aussi bien par le vocabulaire artistique que par le choix du sujet qui reste d’ailleurs l’unique exemplum virtutis dans l’œuvre de Girodet. Ce tableau met en scène l’histoire du médecin grec qui refuse de soigner le roi des Perses, dont le pays est ravagé par la peste. Les ambassadeurs de ce roi, vêtus en blanc en signe de deuil, sont élaborés à la méthode de Poussin et expriment toute une panoplie de sentiments.

C’est de ce même tableau que l’on doit rapprocher stylistiquement notre Mardochée. Sans en être une étude préparatoire, il est peint dans un esprit très proche. En effet, on y retrouve une gamme de couleurs réduite, avec ce vêtement blanc, sobrement drapé à l’antique, porté au-dessus d’une tunique ocre. Le fond est identiquement neutre et gris, et les tonalités de gris trouvent un écho dans les rehauts de couleurs de la chevelure et de la carnation. Girodet s’attache là aussi à la représentation d’un sentiment véridique : l’expression des yeux et de la bouche entrouverte est marquée d’une douceur et d’une spiritualité profonde.

En janvier 1793, suite au saccage du palais Mancini, siège de l’Académie de France à Rome, Girodet arrive à s’enfuir à Naples avec les derniers pensionnaires. Sur le chemin du retour en France, à Gênes, où la maladie le retient, il peint pour Gros, venu avec l’armée d’Italie, son Autoportrait (1795, musée de Versailles), qu’il échange contre celui de son ami. Ce tableau a plusieurs points en commun avec Mardochée. L’artiste se représente sur un fond monochrome gris, dans une position semblable avec une épaule couverte d’un drapée blanc à l’antique, l’autre d’une tunique de couleur ocre.

Entre 1798 et 1819, Girodet peint une douzaine de têtes masculines orientales, dont la moitié a été localisée aujourd’hui. Ces têtes aux couleurs flamboyantes et vêtements luxueux sont peints dans un esprit assez différent de Mardochée. Parmi celles-ci figure le Portrait de Mustapha, 1819 (Montargis, musée Girodet).

Dans les dernières années de sa vie, Girodet décide de faire lithographier certaines de ses œuvres par Jean-Joseph Dassy (1791-1865), peintre et lithographe marseillais qui était l’un de ses meilleurs élèves. Il s’agit de trois têtes d’études : Mardochée, Mustapha, et la première étude pour Galathée, ainsi que Héro et Léandre (Sidonie Lemeux-Fraitot, A l’épreuve du noir : Girodet & la lithographie, Montargis, 2010, p. 15-17.). Ce choix indique une préférence pour ces œuvres, une volonté de les faire connaître et de se faire connaître à travers elles. Dassy expose ces lithographies au salon de 1824, où Mardochée et Mustapha sont présentés en pendant (Salon de 1824, no. 2095-2098).

Mardochée et Mustapha sont identifiables grâce à ces estampes de Dassy, dont la lettre comprend d’ailleurs un chandelier à sept branches placé sous le nom de Mardochée et un croissant sous celui de Mustapha. Ceci laisse penser à une figure de Juif qui fait le pendant d’une figure de Musulman.

Traditionnellement, le personnage biblique de Mardochée est représenté comme un vieillard habillé en mendiant. Dans notre tableau, Mardochée est un jeune homme dont le type s’apparente à celui des Assyriens du tableau Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxes. Sa chevelure abondante évoque un prophète antique ou un saint Jean-Baptiste. Il s’agit en fait d’un personnage réel, d’un modèle nommé Mardochée qui posait pour plusieurs artistes à Paris dans les années 1790.

Notre tableau est resté dans l’atelier de Girodet jusqu’à sa mort et figure dans l’inventaire après décès sous le no. 196 (Tête de Mardochée, voir Sidonie Lemeux-Fraitot 2002 et 2003, Voignier 2005). Comme l’indique Pérignon pour d’autres têtes d’études, Mardochée a vraisemblablement servi comme modèle aux élèves de l’atelier Girodet.(voir Sidonie Lemeux-Fraitot 2003, p. 309 : « Pérignon no. 49 p. 16 : Etude d’après un vieillard endormi ; cette étude est très terminée jusque dans ses moindres détails. Ainsi que les deux précédentes elle servait de modèle dans l’atelier des élèves.») Après son décès, notre tableau a dû être conservé dans la famille, ou bien donné ou vendu à un proche, élève ou ami. Ainsi, il ne figure pas dans la vente d’après décès (Jean-Marie Voignier, 2005, p. 57-92), ni dans la « Liste des principaux ouvrages de Girodet » publié en 1829 par Coupin (P. A. Coupin, Œuvres posthumes de Girodet-Trioson, peintre d’histoire : suivies de sa correspondance, Paris, 1829, t. I.), qui se base sur le catalogue de cette vente.

Après un second examen du tableau le 5 novembre 2012, Monsieur Sylvain Bellenger n’a pas la conviction que notre tableau soit de la main de Girodet. Après plusieurs examens du tableau, Madame Sidonie Lemeux-Fraitot a confirmé sa volonté d’inclure Mardochée dans le catalogue raisonné Girodet qu’elle prépare.

Comme d’autres historiens d’art, nous sommes convaincus que cette tête d’étude est peinte dans les années 1790, encore sous l’influence davidienne, et non dans les années 1824. Au dos du Mardochée de la collection Becquerel il est mentionné qu’il s’agit d’une copie par Pérignon père, et ce tableau ne soutient pas la comparaison. Notre conviction est que ce tableau est une œuvre authentique de Girodet qui a servi de modèle à la version Becquerel.

Nous remercions Madame Sidonie Lemeux-Fraitot pour son aide à la rédaction de cette notice.

PDF