Scène de bal, Vers 1880.
Huile sur toile, H. 0.27 m ; L. 0.35 m
Signée en bas à droite : Jean Béraud.
Provenance : Collection privée, New York, avant 1996.
- William Doyle Galleries, New York, European & American Paintings & Sculpture, 6 Novembre 1996, lot 13. Couverture illustrée (détail en couleur) et fig. 13 (en couleur).
- Patrick Offenstadt, Jean Béraud. 1849-1935. La Belle Époque, une époque rêvée. Catalogue raisonné, Cologne, 1999, p. 172-173, 176 fig. 193 (reproduction en couleur), 177, n° 193.
Jean Béraud est né à Saint-Pétersbourg où son père travaillait comme sculpteur, probablement pour la décoration de la cathédrale St. Isaac. Revenu à Paris en 1853, il fait son apprentissage chez le portraitiste Léon Bonnat, mais se détourne rapidement des compositions idéalisées de son maître pour dépeindre de façon réaliste la vie quotidienne parisienne. A partir de 1873, il commence à exposer régulièrement au Salon et connait rapidement un succès commercial, associé à l’approbation de la critique. Peintes avec précision ainsi qu’avec un œil averti, ses illustrations de la vie parisienne étaient appréciées d’un public raffiné et sophistiqué. Cette oeuvre montre précisément à quel point Jean Béraud appliquait une technique artistique moderne et novatrice, associée à un thème et à une composition dans la lignée de la tradition académique, ce qui lui valut le soutien de Charles Baudelaire qui le décrivait alors comme le « Champion de l’héroïsme de vie moderne ».
Cette Scène de bal témoigne d’un traitement hardi de la lumière artificielle, qui ne manqua pas de susciter l’admiration des critiques d’art lorsque Béraud exposa sa première scène de bal au Salon de 1878. L’un deux souligna qu’ « il est moins difficile de traiter tel ou tel sujet de concours pour le prix de Rome que de peindre dans un salon, sous la lumière des lustres et des bougies, un groupe d’élégants en habit noir et de jeunes femmes en toilette de bal. On doit supposer la chose malaisée, puisque nul n’a su y réussir. Il y faut évidemment beaucoup d’esprit et une parfaite science du clair-obscur » (Paul Mantz, « Le Salon », Le Temps, 11 juillet 1878, p. 2).
Pas moins d’une quinzaine de sources de lumière artificielle éclaire la salle de bal et le fumoir de cet hôtel particulier de la belle époque parisienne. Les paires de lampes au gaz scintillent dans chaque costume et se reflètent dans les larges miroirs, qui renvoient également la lumière des chandeliers. Béraud ironisait en disant qu’il peignait « en plein gaz » plutôt qu’ « en plein air », remarquant que la lumière artificielle permet « surtout de simplifier et d’unifier les couleurs. […] dans les scènes qui se passent entre les murs d’un salon, la grande lumière des lampes et des lustres produit un effet absolument distinct des tableaux diurnes, l’absence à peu près complète d’ombres régulières. La multiplication des foyers, dans la vie du soir, pour les tableaux de la vie élégante supprime complètement ces oppositions violentes qui avaient jusqu’à nos jours éloigné les peintres de la reproduction de ces mœurs . » (Lettre de Béraud à un expéditeur inconnu, Fondation Custodia, Collection F. Lugt, Paris).
« Ces mœurs » correspondaient à la vie sociale d’un Paris nocturne qui fascinait l’artiste. Ce dernier se fait ainsi le discret observateur d’une haute société éblouissante ou au contraire d’un quotidien plus populaire. Béraud aime particulièrement dépeindre les activités en marge du spectacle plutôt que le spectacle lui-même. Aussi cette composition place-t-elle l’artiste et le spectateur dans un coin du fumoir, d’où nous pouvons observer les hommes qui ont quitté la salle de bal afin de se détendre dans un espace plus intime. Leurs poses détendues et leurs conversations animées contrastent avec la formalité guindée entrevue dans la salle de bal, vers laquelle le regard du spectateur est attiré par celui d’un autre observateur, l’homme qui se tient dans l’encadrement de la porte. La division de l’espace et l’opposition des couleurs recherchées par l’artiste témoigne enfin de sa volonté d’évoquer de manière ironique les différentes préoccupations des invités.