Jouvenet, Vénus dans la forge de Vulcain Dijon, musée des Beaux-Arts
Jean Jouvenet (1649-1717)

Vénus dans la forge de Vulcain, vers 1699

Huile sur toile, H. 1.1 m ; L. 0.85 m

Provenance : Vente Laurent Grimod de La Reynière, supplément, 3 avril 1793, no. 159, où le tableau est décrit avec précision (42 pouces sur 32 pouces ; H. 1,13 m ; L. 0,86 m) et où la gravure est donnée à Duflos.
Vendu 1 210 livres à Jean-Baptiste-Pierre Lebrun à la vente La Reynière
Vente Madame de Forestier, Paris, le 27 novembre 1816, no. 20, 42 pouces sur 32 pouces 10 lignes (H. 1,13 m ; L. 0,88 m), vendu 74 F. à Thomas Grignion
Collection privée

Bibliographie :

F.-N. Leroy, Histoire de Jouvenet, Rouen et Paris, 1860, notamment p. 279 (le tableau du Salon de 1699).

Gaëtan Guillot, « La femme et les filles du peintre Jouvenet dans l’œuvre du peintre », Revue catholique de Normandie, t. 24, juillet 1915, p. 305-313.

Antoine Schnapper, Jean Jouvenet (1644-1717) et la peinture d’histoire à Paris, Paris, 1974, p. 207-208, no. 95 (comme « tableau perdu mais connu par une gravure de L. Desplaces »).

Antoine Schnapper, Jean Jouvenet (1644-1717) et la peinture d’histoire à Paris. Edition complétée par Christine Gouzi, Paris, 2010, p. 262-263, P.138 (95).

Emplie d’élégance et de sensualité, Vénus se dresse devant son époux officiel, le dieu Vulcain. Virgile décrit cette scène dans l’Énéide : Vénus use de ses charmes pour convaincre Vulcain de forger une armure pour son fils Enée. Maître du feu et protecteur des artisans, Vulcain a l’apparence d’un artisan : il est coiffé d’un bonnet rond. Restant assis devant son établi, il est d’abord hésitant face au discours de son épouse infidèle qui lui a préféré Mars. Soudain, Vulcain est saisi par la passion amoureuse et promet à Vénus son aide totale. Jouvenet représente Cupidon qui accompagne la déesse et décoche une flèche sur Vulcain. En bas de la gravure de Desplaces est cité un vers de l’Énéide : Sensit laeta dolis et formae conscia coniunx. [L’épouse, heureuse de sa ruse et sûre de sa beauté, l’a senti.](1)))

En 1974, au moment de la parution de sa monographie Jean Jouvenet (1644-1717) et la peinture d’histoire à Paris(2)ches.)), Antoine Schnapper n’avait connaissance de notre tableau qu’à travers la gravure de Desplaces et ses nombreuses copies. Il insista sur la vigueur de la composition et sur son accent réaliste. Vénus, Cupidon, le char dételé, l’appareil de nuages symboliques des dieux se juxtaposent selon lui au monde laborieux de Vulcain, dont les aides continuent leur travail. L’enclume, les marteaux, l’étau, l’établi de Vulcain, le chien endormi étaient pour Schnapper « des morceaux d’une singulière densité, sans précédent dans la peinture française depuis les Le Nain ».(3) En effet, le réalisme des outils de forgeron est tout à fait remarquable et donne un bon exemple du vif sens du réel perceptible dans tout l’œuvre peint de Jouvenet.

En 2010, Madame Christine Gouzi réédita l’ouvrage d’Antoine Schnapper(4)46).)) et enrichit notamment la notice sur notre tableau, dont elle ne connaissait à ce moment-là que la répétition en taille réduite. Elle en jugea le coloris assez exceptionnel dans le corpus de Jouvenet. En effet, Vénus porte un vêtement mauve particulièrement travaillé, qui pourrait selon elle rappeler la palette de Titien, qui affectionnait cette teinte, ou encore celle de Véronèse, qui la déclinait dans des camaïeux de rose. Elle conclut que même si l’ensemble de l’œuvre peint de Jouvenet n’évoque pas l’atmosphère de la peinture vénitienne, Jouvenet en est suffisamment attiré pour s’en inspirer parfois. Selon Christine Gouzi, d’autres œuvres permettent d’apercevoir cette influence, notamment la Naissance de Bacchus, tableau commandé en 1700 pour le château de Meudon (Gouzi 2010, P. 126).(5)

Jean Restout (1692-1768)(6).)), neveu et élève de Jouvenet, lui rendit hommage en présentant en 1717, l’année de la mort du maître, un tableau sur ce même sujet comme morceau d’agrégation(7)). Même si la composition en est une autre, la gravure doit l’avoir inspiré pour les personnages de Vénus et de Vulcain.

Notre tableau a probablement été exposé au Salon de 1699, voire possiblement aussi à celui de 1704. Ces deux salons successifs, qui se tinrent dans la Galerie du Louvre, firent partie d’une série d’expositions qu’organisait de manière sporadique l’Académie royale depuis 1667 déjà.(8)u Louvre.)) Autour de 1700, Jean Jouvenet était au sommet de sa carrière. Avec Charles de La Fosse, Antoine Coypel et les frères Boullogne, il faisait partie des peintres français de son temps qui connurent le plus de succès. En 1707, Jouvenet accéda aux fonctions les plus élevées au sein de l’Académie royale de peinture et de sculpture et devint l’un de ses quatre recteurs. Une particularité par rapport à ses contemporains est que Jouvenet s’adonna, à partir de 1685, essentiellement à la peinture religieuse, domaine dans lequel il joua un rôle non négligeable. Selon Madame Christine Gouzi, l’œuvre de Jouvenet doit être vu comme une preuve d’un renouveau religieux à la fin du règne de Louis XIV.(9)

Originaire de Rouen, l’artiste s’était installé à Paris à l’âge de dix-sept ans. Remarqué par Charles Le Brun, Jouvenet avait rapidement intégré son équipe des peintres décorateurs des résidences royales : Saint-Germain-en-Laye, les Tuileries et Versailles. Sa collaboration avec Le Brun marqua Jouvenet tout au long de sa vie. C’est au contact de Le Brun que Jouvenet sut développer sa plus grande qualité d’artiste : sa capacité de créer d’impressionnantes mises en scène, tout en rendant le spectateur sensible, grâce aux attitudes des personnages, à la vie intérieure de ces derniers. L’œuvre peint de Jouvenet reste fortement attaché à la tradition classique et démontre qu’il y avait une continuité de la grande peinture d’histoire en France entre Le Brun et David. L’énorme succès de Jouvenet est attesté par les nombreuses copies et estampes diffusées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Madame Gouzi(10) souligna l’engouement pour l’art de Jouvenet parmi les amateurs des années 1780, ce qui aide à comprendre son aura dans la littérature artistique néoclassique puis romantique. À cette époque, notre tableau fit partie de la collection du Fermier général Laurent Grimod de La Reynière (1734-1793), avant d’appartenir au célèbre marchand et collectionneur Jean-Baptiste-Pierre Lebrun (1748-1813).

  1. Virgile, Énéide, livre VIII, 392.[]
  2. Ce catalogue raisonné eut un grand retentissement en 1974 à cause de ses distinctions nouvelles entre répétitions autographes, répliques d’atelier, copies de suiveurs ou encore pastiches.[]
  3. Gouzi 2010, p. 155.[]
  4. La réédition de cet ouvrage fondamental par Madame Christine Gouzi en 2010 laisse – dans un hommage au maître – le texte intact, tout en le complétant, en développant les notices et en rajoutant 29 tableaux inédits (sur un total de 146).[]
  5. Gouzi 2010, p. 263-264.[]
  6. Christine Gouzi, Jean Restout (1692-1768), peintre d’histoire à Paris, Paris, 2000, p. 196, P.5 (reproduction couleur p. 20).[]
  7. Jean Restout, Vénus dans la forge de Vulcain, 1717, huile sur toile, H. 1,02 m ; L. 1,37 m, localisation actuelle inconnue.[]
  8. Le terme « Salon » n’apparut qu’en 1725 lorsque les Académiciens présentèrent leurs œuvres dans le Salon Carré du Louvre.[]
  9. Gouzi 2010, p. 10.[]
  10. Gouzi 2010, p. 263.[]
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