Jean-Pierre Houël, Vue des cascatelle
Jean-Pierre Houël (1735-1813)

Vue des cascatelles et de la villa dite de Mécène, Tivoli, 1772

Huile sur toile, H. 0.46 m ; L. 0.38 m

Sur le châssis, inscription au crayon : houel

Provenance : Collection privée, France

Durant les quatre années passées à Rome et à Naples, Houël découvre une nouvelle manière de voir et de sentir la nature. Un des meilleurs paysagistes de son temps, Houël nous émerveille par son rendu de l’atmosphère et son goût particulier pour les contre-jours.

Après une première formation chez Jean-Baptiste Descamps, auprès de qui il apprend le dessin, Jean-Pierre Houël (1)0.)) travaille chez l’architecte rouennais Thibault le Vieux. C’est certainement dans cet atelier qu’il développe une sensibilité particulière pour l’architecture, qui deviendra quelques années plus tard l’un de ses sujets de prédilection. Pendant une dizaine d’années à partir de 1755, il poursuit sa formation à Paris chez le graveur Jacques Philippe le Bas. Il se consacre alors essentiellement à l’estampe, qui demeurera pendant toute sa vie un moyen d’expression privilégié. Houël interprète alors les dessins d’autres artistes, en particulier de François Boucher ; il grave ses propres compositions et fournit également des dessins à des graveurs. Dès lors, Houël s’attache plus spécialement au paysage, traité dans un goût qui demeure dans un premier temps étroitement tributaire de celui de Boucher, avant d’évoluer vers des mises en page plus larges et plus aérées, à l’exemple de celles de Joseph Vernet.

Inspiré de l’École hollandaise du XVIIe siècle

Houël peint ses premiers tableaux à partir de 1764 dans l’atelier de Francesco Casanova, d’origine italienne établi à Paris, peintre de batailles et de paysages. Il est alors remarqué par la société parisienne influente et fréquente le salon de Madame Geoffrin, où se côtoient les philosophes Diderot, D’Alembert et Marmontel et des peintres aussi prestigieux que Boucher, Vien, Van Loo ou Vincent. Il enseigne la gravure au financier Barthélémy-Augustin Blondel d’Azincourt et peut ainsi étudier à loisir l’une des plus importantes galeries de peintures de Paris, particulièrement riche en œuvres hollandaises du XVIIe siècle qui ont influé sur sa conception du paysage. Le duc de Choiseul lui commande six dessus-de-porte destinés au château de Chanteloup, dont quatre sont conservés au musée de Beaux-Arts de Tours (2)eaux-Arts de Tours.)). Représentant des vues de la Seine et des divers propriétés tourangelles du puissant ministre, ces tableaux comptent parmi ses morceaux les plus célèbres dans le domaine de la peinture à l’huile. Avec leur vision panoramique, exempte de tout élément « repoussoir » au premier plan, ces tableaux comportent de longs plans successifs conduisant l’œil dans les lointains. Chaque vue est saisie avec un juste sentiment de l’atmosphère et sans souci de pittoresque. Ce naturalisme très novateur à l’époque est sans doute l’influence des peintures hollandaises du XVIIe siècle.

Une nouvelle vision de la nature

La protection du duc de Choiseul et le soutien de Charles-Nicolas Cochin lui permettront d’obtenir une place de pensionnaire à l’Académie de France à Rome sans avoir concouru au Grand Prix. Houël séjourne ainsi en Italie de 1769 à 1772 (3)519.)), découvre Naples et la Sicile et réalise des dessins qui témoignent de sa sensibilité devant ces paysages nouveaux. Ce voyage en Italie sera pour Houël une initiation à la couleur et à la lumière. Sa manière de peindre s’élargit et devient plus lumineuse. Il s’affirme comme paysagiste, spécialité qu’il ne reniera plus. Comme Charles-Louis Clérisseau et d’autres contemporains, Houël privilégie alors la gouache utilisée par les védutistes italiens.

Excursion à Tivoli

Houël se lie d’amitié avec d’autres pensionnaires de l’Académie de France à Rome, comme François-André Vincent (1746-1816) (4)ouen.)) et l’architecte Pierre-Adrien Pâris (1745-1819), qui le mentionne plusieurs fois dans son Journal manuscrit (5).)). Il décrit plusieurs excursions entreprises avec Houël et indique qu’ils se sont rendus, au printemps 1772, à Tivoli (6)506.)). Il n’est pas exclu que notre tableau soit peint sur place, lors de cette visite. Mais il est probable que Houël utilise ses moyens d’expression favoris, à savoir l’aquarelle et la gouache pour saisir cette vue d’après nature, et qu’il exécute notre tableau dans son atelier. En relation avec Tivoli, on connait de l’artiste une Vue de la villa de Mécène (7)) en gouache, représentant l’ouverture de la grande salle voûtée sur la campagne romaine lumineuse et colorée. Par ailleurs, on lui attribue un dessin représentant la Grotte de Neptune à Tivoli (8))).

Quatre ans en France

Après son retour à Paris en 1772, Houël peint des paysages qui montrent son attachement à l’Italie. En 1774, il est agréé à l’Académie, ce qui lui permet de participer aux Salons. Il expose de nombreuses vues de sites italiens ainsi que quelques vues d’Ile-de-France au Salon de 1775 (9)sur toile.)). Notre tableau est peut-être une étude préparatoire pour l’une d’elles, la Vue des Cascatelles de Tivoli (10).

Il repart pour la Sicile l’année suivante, avec un projet précis, qui sera en fait la grande réalisation de sa vie : écrire et illustrer un ouvrage consacré à cette île. Les quatre volumes de son ouvrage encyclopédique Voyage pittoresque des Isles de Sicile, de Malte et de Lipari seront publiés entre 1782 et 1787.

Un autre paysage à contre-jour

Nous pouvons comparer notre tableau à une belle huile sur toile attribuée à Houël par Jean-Pierre Cuzin (2)0fig. 1).)) en 1996 : Paysage, effet de soir tombant. Rares sont les peintures à l’huile de Houël, une technique que l’artiste a somme toute assez peu pratiquée. Cuzin se base sur un rapprochement stylistique avec les gouaches peintes par l’artiste lors de son voyage en Sicile (1776-1779). Il y reconnaît un site italien et date l’œuvre du séjour romain de Hoüel entre 1769 et 1772. On y retrouve notamment le même intérêt de l’artiste pour le rendu atmosphérique, son goût particulier pour les contre-jours, contrastes forts et délicats de lumière et d’ombre. Fin observateur des effets lumineux, l’artiste saisit dans les deux cas une tranche de spectacle de la nature, sans y ajouter d’éléments anecdotiques.

Les cascatelles de Tivoli

Le sujet de notre tableau – les cascatelles de Tivoli – est très prisé au XVIIIe siècle et souvent repris par Hubert Robert, Fragonard et Joseph Vernet, l’inventeur du paysage composé. À l’époque, on identifiait les bâtiments aux arcades représentés ici avec les restes de la demeure de Caius Cilnius Maecenas, dont le nom francisé est Mécène (vers 70 av. J.-C. – 8 av. J.-C.). En vérité, il s’agit des ruines du Sanctuaire d’Hercule Victorieux (IIe siècle av. J.-C.).

On admire la fraîcheur de notre tableau et le traitement subtil de la lumière venant par derrière la colline, laissant des fins reflets dans les arcades. Sa quête novatrice de naturalisme et la sensibilité de son œil ont conduit Houël à ce rendu atmosphérique remarquable réalisé à une date bien antérieure aux études à l’huile de Valenciennes.

  1. Maurice Vloberg, Jean Houël, Peintre et graveur 1735-1813, Paris, 1930. Madeleine Pinault Sørensen, cat. exp. Houël. Voyage en Sicile 1776-1779, Paris, musée du Louvre, 26 mars – 25 juin 1990, Paris, 1990.[]
  2. Vue du château du Feuillet à Souvigny, 1769, huile sur toile, H. 0,86 m ; L. 1,62 m, signée et datée en bas à droite : Houël f 1769 ; Vue de Paradis, près de Chanteloup, 1769, huile sur toile, H. 0,85 m ; L. 1,62 m, signée et datée en bas à droite : Houël f 1769 ; Vue de la Loire entre Amboise et Lussault, 1769, huile sur toile, H. 0,84 m ; L. 1,62 m, signée et datée en bas à droite : Houël f 1769 ; Vue de la Seine devant les jardins de l’Arsenal, 1769, huile sur toile, H. 1,02 m ; L. 1,48 m, signée et datée en bas à droite : Houël f 1769. Tous les quatre conservés au musée des Beaux-Arts de Tours.[]
  3. Madeleine Pinault Sørensen, « Le voyage en Italie de Houël (1769-1772) », Hommage au dessin. Mélanges offerts à Roseline Bacou, Rimini, 1996, p. 501-519.[]
  4. François-André Vincent dessina une caricature de Houël (plume et encre brune sur papier, H. 192 mm, L. 93 mm, Stockholm, musée national) et laissa un portrait peint de Houël, conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen.[]
  5. Journal manuscrit de Pierre-Adrien Pâris, Besançon, Bibliothèque Municipale, ms 6.[]
  6. Madeleine Pinault Sørensen, « Le voyage en Italie de Houël (1769-1772) », Hommage au dessin. Mélanges offerts à Roseline Bacou, Rimini, 1996, p. 506.[]
  7. Gouache, H. 375 mm ; L. 508 mm, Paris, Hôtel Drouot, 10 avril 1991, no. 13.[]
  8. Lavis gris sur pierre noire, rehauts de blancs sur papier bleu, vente Londres, Sotheby’s, 9 juillet 1981, no. 46.[]
  9. Numéros 193 à 220 de la section « peintures » du Salon de 1775. Il n’est pourtant pas certain qu’il s’agisse de gouaches ou d’huiles sur toile.[]
  10. Salon 1775, no. 209, localisation actuelle inconnue.[]
  11. Jean-Pierre Cuzin, « Une proposition pour Jean-Pierre Hoüel : le ‘Paysage, effet de soir tombant’ du musée Magnin de Dijon », Hommage au dessin. Mélanges offerts à Roseline Bacou, Rimini, 1996, p. 528-533 (fig. 1).[]
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