Bernard Boutet de Monvel, Étude de Chicago - Michigan Avenue depuis Rush Street, 1928. Bernard Boutet de Monvel, Étude de Chicago - Michigan Avenue depuis Rush Street, 1928.
Bernard Boutet de Monvel (1881-1949)

Étude de Chicago – Michigan Avenue depuis Rush Street, 1928

Huile sur toile, H. 0.66 m ; L. 0.51 m

Provenance : Collection privée

Durant ses séjours aux États-Unis à partir de 1926, Bernard Boutet de Monvel, portraitiste de la haute société américaine, devient également un peintre de paysages urbains, dans lesquels il s’attache à saisir la modernité de villes en construction. Ses vues étourdissantes d’aciéries et de gratte-ciels, qui constituent une partie significative de son œuvre, font de l’artiste une figure majeure du mouvement précisionniste.

Fils du peintre et illustrateur Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), Bernard Boutet de Monvel (1881-1949) se destine à la peinture dans les toutes dernières années du XIXe siècle. Il est l’élève de Luc-Olivier Merson (1846-1920) et s’initie très tôt à l’eau-forte dont il devient rapidement un maître reconnu, sans pour autant négliger la peinture. À partir de 1909, il peint dans un style Art déco, géométrisant ses portraits avec une palette limitée. Parallèlement, il illustre des magazines de mode, notamment la Gazette du Bon Ton, Vogue et le Harper’s Bazar.

L’artiste se fait également connaître comme le peintre des sportsmen et des dandys. D’une grande beauté, il passe pour l’un des hommes les plus élégants de son temps. Il n’en faut pas davantage pour que, dès son premier voyage à New York en 1926, à l’occasion d’une exposition rétrospective organisée par Anderson Galleries, celui que la presse qualifie déjà de « most handsome man in Europe » devienne le portraitiste incontournable de la Café Society : Getty, Vanderbilt, Astor, du Pont, sont ses modèles les plus assidus.

Commande pour une banque à Chicago

En décembre 1927, Bernard Boutet de Monvel, dont la décoratrice Rue Winterbotham Carpenter (1879-1931) présente une rétrospective de l’œuvre peint et sculpté à l’Arts Club of Chicago, reçoit la commande d’une vaste composition destinée à être placée dans le hall de réception d’une banque de Chicago[1]. Bernard Boutet de Monvel voit dans cette commande l’opportunité de démontrer outre-Atlantique son talent de peintre-décorateur, et entreprend dès janvier 1928 de réaliser études préparatoires et maquettes, premiers travaux de l’artiste portant directement sur la modernité aux États-Unis.

Le tableau, tout à la gloire de l’industrie américaine montrera, devant un haut-fourneau qu’un train relie à un building en construction, Labondance nourrissant les enfants de lAmérique (Fig. 1)[2]. Malgré la complexité de la composition, l’artiste jouera avec une évidente facilité du rythme des décrochements – celui, régulièrement scandé, des façades d’immeubles traitées en aplats, et celui, dynamique et puissant, des conduites de gaz.

Élaboration à l’aide de photographies

Visitant une aciérie afin d’y étudier la partie gauche de son panneau, Bernard Boutet de Monvel se promène le long de la Chicago River pour y photographier les immeubles en construction nécessaires à la partie droite de sa composition. Son choix s’arrête sur ceux bordant Michigan Avenue vus depuis Rush Street : à gauche, encore en construction, le Michigan Building (1927-1928),[3] situé au n° 333 de la Michigan Avenue, que poursuit le n° 319 et, à droite, le London Guarantee Building (1923) situé au n° 360. Entre ces trois buildings, le vide.

Contraint par la plage focale de son appareil photographique, le peintre n’utilise pas un mais deux clichés accolés pour la mise en place de sa composition (Fig. 3 et 4). Le carreau de ces derniers reportés sur la toile, il supprime toute la partie inférieure des prises de vue montrant le DuSable Bridge[4] dont n’apparaît plus sur le tableau que le pot à feu coiffant l’une des quatre lanternes maçonnées marquant chacune des extrémités du pont. Ainsi, selon son habitude, l’artiste met en scène une image à partir d’une vue à l’objectivité photographique apparente. Une fois le dessin préparatoire mis en place à la règle et au compas, Boutet de Monvel esquisse rapidement la masse des buildings à l’aide de à l’aide de « jus », peinture à l’huile fortement diluée à l’essence, de manière à n’indiquer que les tonalités et les valeurs : terres de Sienne, terre d’ombre naturelle et brulée, bleu de cobalt, rehauts de blanc… Puis, tandis que des parties entières de la toile demeurent en réserve, l’œuvre est abandonnée.

Assurément, la trop grande place laissée au ciel ne permet pas d’intégrer convenablement la puissante diagonale gouvernant la composition au reste du panneau. Il entreprend donc une seconde ébauche (Fig. 5),[5] cette fois-ci retenue, d’après des photographies prises l’année précédente à New York et montrant un ensemble d’immeubles devant lesquels grues et palans soulèvent des poutrelles d’acier. L’artiste avait découvert dans cette « city of windows » une nouvelle Metropolis, la ville futuriste en pleine mutation.

Cette première ébauche, jouant déjà de la répétition des fenêtres comme d’autant de figures géométriques, reste la seule vue de Chicago réalisée par l’artiste qui nous soit parvenue. Elle est, à l’instar de la seconde, à l’origine de l’ensemble des paysages new-yorkais réalisés par le peintre entre 1928 et 1932. Ces compositions vertigineuses, toutes exécutées à partir de photographies, si caractéristiques du précisionnisme, mouvement fondateur de la modernité américaine oscillant entre hyperréalisme et cubisme.

Stéphane-Jacques Addade[6]


[1] A. G. Becker & Co, banque d’investissement située LaSalle Street, que venait d’entièrement réaménager l’architecte Samuel A. Marx (1885-1964).

[2] Huile sur toile, H. 2 m ; L. 2,50 m, localisation actuelle inconnue, voir S.-J. Addade, Bernard Boutet de Monvel, 2001, p. 204-207 et 2016, p. 223-230.

[3] Célèbre gratte-ciel Art Déco édifié par Holabird & Roche en 1927-1928.

[4] Anciennement appelé Michigan Avenue Bridge, ce pont a pris le nom de DuSable Bridge en 2010.

[5] Vue de New York, 1928, huile sur toile, H. 0,76 m ; L. 0,62 m, vente Christie’s Londres, 4 mars 2022, lot 433, localisation actuelle inconnue.

[6] Stéphane-Jacques Addade, expert reconnu de Bernard Boutet de Monvel, possède les archives de l’artiste et a publié deux monographies richement documentées en 2001 et 2016 à son sujet. Par ailleurs, il occupe le poste de vice-président de la Chambre européenne des Experts d’Art.

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