Femmes fellahs au bord du Nil
Léon-Adolphe Belly (1827-1877)

Femmes fellahs au bord du Nil, 1856

Huile sur toile, H. 0.98 m ; L. 1.3 m

  • En bas à droite cachet d’atelier (rouge) : L. BELLY.
  • Porte en bas à gauche une étiquette imprimée : 3.
  • Inscriptions à la craie sur le châssis : Bord du Nil Femmes fellahs et Rétrospective Belly 83.

Provenance : Vendu au Prince de la Moskowa en 1863. Collection privée, France.

Bibliographie :
  • Conrad de Mandach, « Léon Belly (1827-1877) », Gazette des Beaux-Arts, février 1913, p. 143-157, notre tableau est commenté p. 150.
  • Patrick Wintrebert, Léon Belly (1827-1877), Premier essai de catalogue de l’œuvre peint, précédé d’une monographie.Mémoire de maîtrise, Université de Lille III, 1977, no. 94.
  • Pierre Sanchez, La Société des Peintres Orientalistes français 1889-1943, Dijon, 2008, p. 95.

Devenu célèbre suite à l’exécution de son chef d’œuvre Pèlerins allant à la Mecque, 1861, aujourd’hui conservé au musée d’Orsay à Paris, Belly est considéré avant tout comme peintre orientaliste.

Né à Saint-Omer dans le nord de la France, l’artiste est élevé par sa mère, veuve depuis 1828. Femme fortunée, cultivée, miniaturiste de talent, elle s’installe avec son fils à Metz, puis à Paris. Tout en continuant des études secondaires brillantes, Belly se passionne tôt pour la peinture, sous l’influence de plusieurs amis peintres de sa mère. Après un bref passage dans l’atelier de Picot, Belly se lie avec les peintres de l’école de Barbizon et notamment Constant Troyon. En 1850, Belly accompagne, en qualité de dessinateur, la mission scientifique conduite par Caignart de Saulcy et Edouard Delessert en Palestine, visant à étudier la géographie historique de la région. C’est là que Belly peint plusieurs de ses tableaux les plus célèbres, comme Les ruines de Baalbek (Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin). En octobre 1855, Belly entreprend un second voyage en Orient et demeure une année en Egypte. En avril-mai 1856, il retourne dans le désert du Sinaï avec Narcisse Berchère. Entre juillet et octobre 1856, il remonte le Nil jusqu’à Assouan, accompagné des peintres Edouard Imer, Berchère et Jean-Léon Gérôme ainsi que le sculpteur Bartoldi.

Femmes fellahs au bord du Nil fait partie des grandes compositions qui feront connaître Belly aux Salons parisiens. C’est au Caire, durant les mois mai et juin 1856 que Belly élabore ce tableau. Selon Patrick Wintrebert, notre toile occupe une position toute particulière dans l’œuvre de Belly : il s’agit de son premier tableau de figures. Peut-être sous l’influence de son ami Hippolyte Flandrin, Belly ne veut plus se cantonner dans le genre de paysage, mais il a l’ambition de maitriser également la peinture d’histoire.

C’est grâce à une lettre écrite le 1er juin 1856 à sa mère, que nous avons des informations détaillées sur la manière dans laquelle Belly prépare Femmes fellahs au bord du Nil :

« Ce tableau de femmes, puisant de l’eau au Nil est extrêmement intéressant à faire, et cela m’apprendra vraiment à dessiner. Il ne s’agit pas de prendre la première pose venue lorsqu’elle est gracieuse ; il faut en chercher la quintessence et étudier dans la nature agissante le mouvement simple et juste, puis choisir entre celui qui exprime le plus simplement l’action et le plus de beauté – étudier ce même mouvement chez les différentes natures de femmes, dans les différents effets de lumières ! Le rapport des figures au paysage est une autre étude à faire. J’espère que ce tableau sera bon, car je sais très bien ce que je cherche, et je ne me contenterai pas à demi. Les peintres qui croient pouvoir être vrais en emportant des costumes qu’ils font mettre à des modèles, dans des tableaux qui représentent des scènes propres à un pays, doivent être remarquablement doués pour se passer d’apprendre…
Tous les soirs, à quatre heures, nous allons nous promener sur la rive de Giseh pour étudier les mouvements des femmes qui vont puiser l’eau ; l’air est frais et délicieux, et le paysage est, à cette heure, d’une beauté merveilleuse. Je ne puis guère faire poser, et il faut se rappeler presque tout. Une fois que je suis sûr du mouvement vivant, je me sers du modèle pour des bras et des mains, mais pour ce mouvement, on ne l’a plus juste sitôt qu’on le fait poser. Une figure dessinée ainsi et trouvée en vaut cent qu’on ferait à l’atelier… Je ne travaille pas comme pour faire un tableau, mais pour apprendre. »

Une lettre du 22 juin 1856 témoigne que Belly est toujours concentré sur notre tableau. Il commence à fixer désormais les positions des femmes et étudie leur relation au paysage qui les entoure :

« Je fais exécuter cent fois le mouvement dont j’ai besoin, je m’évertue à le saisir au vol dans une masse de dessins très rapidement faits, dessins de morceaux ou d’ensemble. Il me reste maintenant à saisir l’effet des figures dans le paysage ; il y a de magnifiques choses à faire en unissant ces deux éléments. »

En effet, dans ce tableau savamment construit, les femmes gardent toute la spontanéité et crédibilité de leurs mouvements. L’élégance des courbes montre l’admiration que Belly avait pour Ingres. Comme pour Ingres, la musique jouait un rôle important dans sa vie. Pianiste amateur, Belly passait ses soirées égyptiennes à faire de la musique avec Edouard Imer. Fervent admirateur de Jean-Sébastien Bach, Belly semble avoir une approche aussi mesurée que ce dernier en peinture.

Exposé au Salon de 1863, notre toile attire les éloges des critiques. Louis Emaut le désigne comme l’un des meilleurs tableaux du Salon. Il fait la louange des figures des femmes, « admirablement posées, dans des attitudes vraies, simples et poétiques. » Arthur Stevens met également en avant notre tableau et ajoute : « Je trouve dans ce tableau une intention de style très heureusement comprise. La peinture de M. Belly est facile. » Claude Vignon écrit : « M. Belly, le peintre des Femmes fellahs au bord du Nil, nous ramène à la belle peinture, au dessin noble et ferme, à l’art de bon aloi. » Un longue commentaire de Théophile Gauthier célèbre pareillement l’œuvre : « Les Femmes fellahs au bord du Nil, de M. Belly, sortent de sa manière habituelle, où le paysage prédomine, et sont une exécution heureuse dans le domaine de la figure. »